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parce qu’on croyait qu’elles n’avaient pas d’histoire, furent tumultueuses encore et dignes du nom terrible de Borgia. Ce n’est pas aller trop loin que de dire, dès aujourd’hui, qu’on trouvera la main de César dans la vaste intrigue, ourdie par l’Allemagne, qui devait aboutir à donner à l’empire la souveraineté de Léon et de Castille.

C’est bien à Viana et non à Pampelune, ainsi qu’on l’a cru jusqu’ici, que sont encore aujourd’hui les restes de César ; mais, depuis des siècles, ils n’occupent plus leur place dans l’église de Santa Maria, et le Valentinois n’a plus de tombeau. Par une fatalité singulière, un des successeurs de César à l’évêché de Pampelune, jugeant que c’était un opprobre pour le saint lieu de garder ses dépouilles, les fit enfouir sous le pavé de la rue, en face de la porte principale de Santa Maria. Il y a quelques années, on conservait encore dans la petite ville la targe du capitaine, ramassée sur le champ de bataille de Mendavia, et suspendue au-dessus de la sépulture. Elle portait la devise du Valentinois : Aut Cæsar, aut nihil.

L’effet produit par la nouvelle de la mort du fils d’Alexandre dans toute l’Italie fut hors de proportion avec l’événement : tous les intérêts coalisés lui étaient désormais contraires. César n’était plus à craindre, mais il mourait si jeune, que ses anciens sujets ne voulaient pas croire à son trépas ; son nom devint légendaire, et sous le chaume, dans les Romagnes, on l’attendit longtemps : quand le peuple souffrait, il invoquait l’idée de son retour. Dans la même région, Sigismond Malatesta, tyran plus volontaire encore et souillé d’autant de crimes, avait été aussi regretté. C’est que tous deux savaient que la rigueur contre les grands et la douceur à l’égard des humbles est un lien entre les peuples et le souverain. En perdant César, on sentait que quelque chose de grand dans le crime et de puissant de par la force de la nature et l’intensité de la volonté, avait cessé d’exister, et on lui appliqua la devise des monts Acrocérauniens :


Feriunt summos fulmina montes…


Tandis que Sannazar le Napolitain décochait un dernier trait au cadavre de l’ennemi d’Aragon, le Bolonais Hiéronymus Cassius, envoyé trois fois auprès du Valentinois comme ambassadeur, comparait sa chute au coucher de l’astre roi :


Cesar Borgia che era della gente,
Per armi e per virtù tenuto un sole ;
Mancar dovendo, ando dove andar sole
Phebo, verso la sera, al occidente.


CHARLES YRIARTE.