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de violens soubresauts ; à ses côtés, Bonafede, l’évêque de Chiusi, vigoureux comme un soldat, l’encourage à l’action. Son armée, encore intacte, solide et fidèle, peut tenir la ville de Rome en échec ; il appelle Michel Corella, son capitaine, son bravo, son âme damnée, le Michelotto des chroniques : l’argent est le nerf de la guerre, il lui ordonne d’abord de saisir le trésor du Vatican. Michelotto obéit, s’introduit chez le cardinal trésorier et, mettant le poignard sur la poitrine de Casanova, se fait livrer les clés et s’empare de cent mille ducats, selon Burkardt, de trois cent mille au dire de Sanudo. Cependant, dans Rome, les ennemis des Borgia se sont ralliés ; les Orsini se lèvent ; Fabio, l’un d’eux, vient de rencontrer sur sa route un des païens du Valentinois, le seul Borgia qu’on pouvait atteindre ; il l’a tué, s’est lavé les mains et le visage dans son sang, déclarant à tous que tel est le sort qu’il réserve au fils d’Alexandre. Le sacré-collège comprend le danger ; quelques-heures encore, Rome, en proie aux factions, sera saccagée.

César a 9,000 hommes d’armes disciplinés qui obéissent à un signe ; lui seul peut empêcher une collision ; il faut donc traiter avec lui, assurer la réunion du conclave, faire un souverain pontife et sauver la ville éternelle. Le plan sourit au capitaine et le rôle qu’il y doit jouer lui convient ; il dispose de huit voix au sacré-collège : il peut faire un pape de son choix, et, fort de ce nouvel appui, achever l’œuvre de son ambition. César accepte donc les ouvertures de la curie ; il se déclare prêt à traiter, pourvu que les ambassadeurs des puissances garantissent l’engagement. Les envoyés se rendent auprès de lui ; l’Italie, l’Europe tout entière est représentée autour de ce lit où César, défaillant, oppose à la douleur son énergie indomptable. Il assurera la liberté du conclave en se retirant avant trois jours avec ses troupes en dehors des portes ; en échange, on le confirmera dans son titre de capitaine général des troupes de l’église et de duc des Romagnes ; et, pour atteindre les Orsini qui le menacent, on publiera à son de trompe, dans toute la cité, l’édit qui punit de mort toute insulte faite aux Borgia et à ceux de leur parti. Le 2 septembre, le capitaine sort de la cité, couché sur une litière de drap noir, portée sur les épaules de ses hallebardiers et escortée par sa cavalerie. Sa famille le suit, sa mère, la Vanozza, est au milieu des rangs avec Joffre, le prince de Squillace, son frère ; autour de la litière, pour lui faire honneur, chevauchent les ambassadeurs d’Espagne, de France, et le représentant de l’empereur. Rome vient d’échapper à un immense danger : si César n’eût été qu’un aventurier vulgaire, il n’aurait pas résisté à l’envie de régner une heure sur la ville éternelle, qui n’avait plus de pontife, et de s’asseoir à la fois sur le trône de César et sur le trône de Saint-Pierre. Qui peut dire que Borgia, dans le