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modestie, son attitude est noble, et son aspect est beaucoup plus séduisant que celui de son frère le duc de Gandia. » Il est évident que le mot modestie a dû changer de sens, car il revient constamment dans les portraits de Lucrèce et de César.

Boccacio vient de le peindre à dix-sept ans ; Capello, le Vénitien, le voit le 28 septembre 1500, à l’âge de vingt-quatre ans (il lui en donne même vingt-sept, ce qui prouve bien que ceux qui étaient le plus intéressés à connaître l’âge de César ne l’ont pas su). « Il a vingt-sept ans, dit l’ambassadeur, il est très beau de figure, grand et bien fait. » Il est realissimo, dit l’un ; biondo e bello, dit l’autre ; très beau de corps, grand, bien fait, plus bel encore que le roi Ferdinand de Naples.., dit un troisième. Et, en effet, le roi Ferdinand et Alphonse, duc de Bisceglie, le deuxième mari de Lucrèce Borgia (celui-là même qui devait tomber sous le poignard de César), passaient pour les deux plus beaux princes du royaume. On pourrait multiplier les citations, mais c’est les résumer toutes, que de rapporter le passage du portrait qu’a tracé de César l’historien de la Ville de Rome au moyen âge. « La nature lui avait prodigué ses dons les plus heureux ; comme Tibère dans l’antiquité, il était le plus bel homme de son temps ; robuste de corps, il avait la force d’un athlète, et ne se laissait jamais entraîner par l’ivresse des sens, toujours au service d’une intelligence froide et aiguisée. Sur les femmes il exerçait une attraction magique… » La force physique de César était bien à la hauteur de sa beauté corporelle ; quand on cite les récits des témoins oculaires, on a même peine à ne pas croire à quelque exagération. Il avait organisé à Rome des combats de taureaux selon la mode d’Aragon, et fermant la place de Saint-Pierre avec des barrières, pour en faire un cirque, on le vit un jour, lutteur sans rival, tuer cinq taureaux sauvages et foudroyer le dernier d’un coup d’espadon, aux cris d’une foule en délire[1]. Les documens empruntés aux archives des villes de Romagnes sont d’accord, sur ce point, avec les témoignages vénitiens et ceux des panégyristes romains. Un de ses capitaines, Justolo, raconte qu’il brisait en deux un fer à cheval, courbait facilement une pique de fer et rompait un câble. Parfois, déjà duc des Romagnes, il sortait du palais, accompagné d’un de ses familiers, et, se mêlant aux paysans, sous des habits d’emprunt, engageait avec eux des luttes corps à corps. Un manuscrit de la bibliothèque de Cesena, où sont réunies toutes les poésies latines de Francesco Uberti, familier de

  1. « Le fils du pape, à cheval, dans un cirque qu’on avait formé tout près de l’escalier de Saint-Pierre, décochait des javelots aux taureaux ; et, semblable à Pépin, d’un bras d’Hercule tranchait d’un seul coup la tête de l’animal. Rome, pleine d’admiration, portait aux étoiles sa force brutale, » (Paolo Capello, dépêche du 28 septembre 1500.)