Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/369

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

livres précieux, d’œuvres d’art de toute nature, on voyait, réunis dans son cabinet de travail, une suite de portraits des hommes illustres de son temps, panneaux peints, originaux des illustrations qui ornent les diverses éditions des Elogia virorum illustrium. Le musée de Florence possède des copies de ces portraits, commandées par un Médicis et exécutées par Cristofano Papi dit l’Attissimo. Dans cette série, que Paul Jove avait sous les yeux au moment même où il écrivait, César est représenté sous les traits d’un beau jeune homme à la barbe blonde, aux longs cheveux flottans, coiffé du beretto de capitaine-général, portant le bâton de commandant. Et Paul Jove, dont tous les iconographes savent les scrupules en matière de représentation (puisqu’il est allé jusqu’à laisser en blanc, dans ses beaux livres, la place réservée aux personnages pour lesquels il ne pouvait pas recourir à un document authentique), n’hésite pas à reproduire ce même portrait de César en tête du chapitre qui lui est consacré, léguant ainsi à la postérité la seule image qui puisse servir à contrôler l’exactitude de toutes celles qui ont la prétention de représenter le terrible fils de Borgia. En effet, comment ne pas accorder confiance à cette représentation ? Le portrait a été fait par ordre d’un connaisseur, d’un amateur qualifié, intéressé, par ses études et le but qu’il poursuivait, à posséder une image exacte ; de plus, Paul Jove a vécu du temps de César, il a même pu le connaître et, en tout cas, il a eu de nombreuses occasions, soit par lui-même, soit par ses amis, de contrôler la ressemblance. La contradiction, on le voit, est flagrante ; mais Paul Jove, au dire de Tiraboschi, avait deux plumes : l’une d’or pour ses amis et ceux qui payaient, et une de fer pour ceux qu’il n’aimait pas, et de plus, « l’évêque de Nocera était très crédule et insérait dans ses histoires les contes qu’on lui faisait. »

La vérité est que le monstre était beau autant qu’agile et fort ; mais que sa physionomie, à partir de l’âge de vingt-cinq ans, fut flétrie par la débauche. Le premier qui l’a vu et décrit pour la postérité, c’est l’ambassadeur de Ferrare, Giovanni Boccacio, évêque de Modène. Le 13 mars 1493, il visite César à son arrivée de Pise, au sortir de l’université ; le fils d’Alexandre est alors dans sa dix-septième année et déjà cardinal. « L’autre jour, écrit l’ambassadeur à son maître Hercule d’Esté, je fus trouver César chez lui dans le Transtévère, il allait partir pour la chasse et avait revêtu un costume tout à fait mondain ; vêtu de soie, l’arme au côté ; à peine, sur sa tête, un petit rond rappelait-il le simple tonsuré. Nous cheminâmes ensemble à cheval… C’est un personnage d’un grand esprit, très supérieur, et d’un caractère exquis, ses façons sont celles d’un fils de potentat ; il a l’humeur particulièrement sereine et pleine de gaîté, il respire la joie (e tutto festa). Il est d’une grande