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L'EPEE DE CESAR BORGIA

Quand on remonte aux documens pour tenter de porter la lumière sur une figure comme celle de César Borgia, on hésite en présence des contradictions des contemporains. Entre les flatteurs qui encensent, les pamphlétaires qui déchirent, les politiques qui se passionnent, et les poètes qui exagèrent, on se sent tenté de tout rejeter pour ne se fier désormais qu’à ces témoins, inconsciens de leur rôle, qui reflètent les faits sans les juger. Le roman s’est emparé de certains personnages historiques ; le théâtre, avec la force de relief qu’il donne aux figures qu’il évêque, leur a créé pour ainsi dire un alibi historique, — et la fiction a vaincu la réalité. Rien ne reste des Borgia qui soit intact ; la longue réaction qu’ils ont appelée les a poursuivis par-delà la tombe ; les pierres sépulcrales sont brisées, effacées les pompeuses épitaphes, dispersés les monumens, lacérées les images. Ce n’était pas assez des haines politiques, des épigrammes sanglantes attachées pour toujours aux flancs du bœuf héraldique, de leur maison : un mouvement irrésistible de l’idée religieuse, un schisme provoqué par leurs scandales et leurs crimes, en partageant l’Europe au XVIe siècle, a rendu à jamais suspects les témoignages de certains témoins oculaires, comme il laisse planer le doute sur les historiens les plus sincères et les plus désintéressés.

Un monument cependant subsiste, qui, par sa nature, a pu échapper à la destruction générale : c’est l’épée de César Borgia, Si on examine avec attention les inscriptions nombreuses et les compositions dont la lame est ornée, on reconnaîtra qu’il y a là non-seulement un monument d’art d’un haut prix, mais un document historique à l’appui de la vie du Valentinois et une révélation de ses secrètes pen-