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d’insurrection. Il est à croire que son administration équitable et bien inspirée saura les prévenir à l’avenir. Toutefois on peut se demander si les réformes accomplies, l’ordre assuré, l’agriculture encouragée, les routes ouvertes, les subsides accordés aux écoles, les moyens de communication multipliés ont inspiré aux populations toute la gratitude que cette œuvre de réorganisation intelligente mérite sans contredit. De toutes les opinions opposées que j’ai entendu émettre à ce sujet, voici ce que j’ai conclu.

Les mahométans comprennent et avouent qu’ils ont été traités avec les plus grands ménagemens et tout autrement qu’ils ne s’y attendaient. Les principaux begs sont même ralliés. Mais les autres, c’est-à-dire la masse des propriétaires, petits et-grands, voient que c’en est fait du pouvoir despotique dont ils usaient et abusaient à l’égard de leurs vassaux. Ils ne le pardonneront pas de sitôt à l’Autriche, qui d’une main ferme fait régner l’égalité devant la loi, proclamée déjà par la Porte, mais toujours sans résultat. Les orthodoxes du rite oriental sont ombrageux, inquiets. Malgré ce qu’on fait pour eux, ils craignent que les Autrichiens ne favorisent la propagande ultramontaine. Ainsi qu’on l’a constaté dans la grosse affaire de l’alphabet cyrillique, ils voient en tout changement une atteinte au droit de leur culte, qui, pour eux, se confond avec leur nationalité. Se considérant comme Serbes de religion, ils ont des sympathies pour la Serbie. Ils n’ont pas à se plaindre, puisque le gouvernement leur accorde les mêmes encouragemens qu’aux autres, mais ils se méfient de ses intentions. Les catholiques au moins devraient être contens, puisqu’on reproche à l’Autriche de tout faire pour eux. Cependant ils ne le sont pas, les ingrats ! Ils sont quelque peu déçus. Ils croyaient qu’eux seuls seraient désormais les maîtres, et que places, subsides et faveurs leur seraient exclusivement réservés. Le traitement égal leur paraît une injustice. En outre, la façon dont on a relégué les franciscains au second plan a produit des froissemens. Ainsi donc, aucune des trois fractions de la population n’est entièrement satisfaite. Mais, sauf peut-être une partie des musulmans, il n’en est pas une, je crois, qui ne soit ramenée bientôt à apprécier les incontestables bienfaits du régime nouveau.

Que dire maintenant de l’occupation par l’Autriche ? Si, oubliant toutes les rivalités politiques, on ne considère que le progrès de la civilisation en Europe, aucun doute n’est possible ; tout ami de l’humanité doit y applaudir et de tout cœur. Sous le régime turc, le désordre, avec ses cruelles souffrances et ses indicibles misères, allait s’aggravant. Sous le régime nouveau, l’amélioration sera rapide et générale. Mais n’y avait-il pas une solution meilleure ?