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dans son service ecclésiastique. Quand il avait réuni le prix auquel était taxée une cure, soit de 20 à 200 ducats, il allait l’offrir à l’évêque, qui ne tardait pas à le nommer, en destituant au besoin un prêtre en exercice, à moins que celui-ci ne donnât davantage. Beaucoup de ces popes ne savent pas écrire et à peine lire ; ils récitent par cœur les prières et les chants. L’église orthodoxe n’a pas de biens en Bosnie, et les popes ne reçoivent aucun traitement fixe. Mais les fidèles les entretiennent et leur font des dons en nature, lors des grandes fêtes ou des cérémonies religieuses : mariages, naissance, enterrement. Ils reçoivent ainsi du blé, des moutons, de la volaille. A la mort du père de famille, ils prélèvent souvent un bœuf et à la mort de la mère une vache. Les Bosniaques craignent beaucoup les influences des mauvais esprits, des fées, des vilas, et ils ont souvent recours aux exorcismes, qu’il faut bien payer. Il faut donner à l’évêque une si grande partie de ces rémunérations en nature ou en argent que les popes sont réduits à cultiver la terre de leurs mains pour avoir de quoi vivre.

La même exploitation scandaleuse avait lieu en Serbie, en Valachie, en Bulgarie, partout où le clergé orthodoxe dépendait du Phanar, et elle se poursuit encore en ce moment, en Macédoine, malgré la promesse formelle de la Porte et des puissances d’affranchir ce malheureux pays, tout au moins sous le rapport ecclésiastique. L’Autriche s’est empressée de couper ce lien funeste qui attachait l’église orthodoxe de Bosnie au patriarcat de Constantinople. Le 31 mars 1880, a été signé avec le patriarche œcuménique un accord, en vertu duquel l’empereur d’Autriche-Hongrie acquiert le droit de nommer les évêques du rite oriental, moyennant une redevance annuelle d’environ 12,000 francs à payer par le gouvernement. Cette charte d’affranchissement me parait si importante, et elle constitue un si grand bienfait pour les populations du rite oriental, que je crois utile d’en reproduire les termes : « Les évêques de l’église orthodoxe actuellement en fonction en Bosnie et en Herzégovine sont confirmés et maintenus dans les sièges épiscopaux qu’ils occupent. En cas de vacance d’un des trois sièges métropolitains en Bosnie et en Herzégovine, Sa Majesté impériale et royale apostolique nommera le nouveau métropolite au siège devenu vacant, après avoir communiqué au patriarcat œcuménique le nom de son candidat, pour que les formalités canoniques puissent être remplies. » Les évêques orthodoxes n’ont donc plus à acheter leur place aux enchères, au Phanar, et par conséquent ils ne doivent plus en prélever le prix sur les malheureux fidèles. Pour couper court à tout abus, le gouvernement paie directement aux métropolites un traitement de 5,000 à 8,000 florins. Sous le nom de vladikarina, les agens du fisc prélevaient une taxe de 1 franc à 1 fr. 50 sur