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ennoblie en se pénétrant de formalités et de sentimens religieux, sous l’empire du Koran.

La seconde façon de se marier est celle que l’on peut appeler « à la vue. » Une intermédiaire prépare une entente entre les deux parties. Au jour convenu, le père reçoit le prétendant dans le selamlik. Entre alors la jeune fille, revêtue de ses plus beaux vêtemens, le visage découvert et la poitrine à peine voilée par une gaze légère. Le jeune homme boit le café, en contemplant la future, et il lui rend la tasse vide en lui disant : « Dieu vous récompense, belle enfant ! » Elle se retire sans parler, et, si elle a plu, le jeune homme envoie le lendemain au père un anneau dans lequel il a fait graver son nom. Au bout de huit jours ont lieu les noces, appelées dujün. Les parens et amis apportent des cadeaux utiles pour le jeune ménage, et on festoie tant qu’il reste à manger, les hommes au rez-de-chaussée, les femmes au premier étage. Le troisième mode de mariage est surtout en usage parmi les familles riches : c’est uniquement une affaire qui s’arrange comme dans certains pays chrétiens. Le mariage est conclu sans que les époux se soient vus. Les festivités ont lieu chez le père. Vers le soir, le mari d’un côté, la femme de l’autre, sont conduits, avec accompagnement de musique et de coups de fusil, dans la demeure commune, où ils se voient alors pour la première fois. Les déceptions trop cruelles sont réparées par le divorce, ou, insinuent les mauvaises langues, par des moyens plus expéditifs encore. Un proverbe bosniaque a beau dire qu’il est plus facile de garder un sac de puces qu’une femme, les officiers de l’armée d’occupation les plus charmans, — et l’on sait à quel point le sont les Hongrois, — ne trouvent ici, dit-on, que des rebelles. L’adultère féminin n’est pas encore un des condimens habituels de la société musulmane.

Ce qui caractérise surtout le Bosniaque formé par le Koran, c’est une résignation absolue qu’envierait l’ascète le plus exalté. Il supporte sans se plaindre les revers et les souffrances. Il dira avec Job : Dieu me l’a donné, Dieu me l’a retiré ; que la volonté de Dieu s’accomplisse ! Est-il malade, il n’appelle pas le médecin ; si son heure n’est pas venue, Dieu le guérira. S’il sent la mort approcher, il ne s’en effraie pas. Il s’entretient avec le hodscha, dispose d’une partie de ses biens en faveur d’une œuvre utile, ou fonde une mosquée, s’il est très riche ; puis il meurt, en récitant des prières. La famille se réunit, nul ne pleure ; le corps est lavé ; le nez, la bouche et les oreilles sont bouchés avec de l’ouate, afin que les mauvais esprits n’y pénètrent pas, et le même jour il est enterré, enveloppé dans un suaire blanc et sans cercueil. Une pierre, terminée en forme de turban pour un homme, est placée sur le