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Sur les 5,410,200 hectares de la Bosnie-Herzégovine, 871,700 sont occupés par des rochers stériles comme le Karst, 1,811,300 par des terres labourables, et 2,727,200 par des forêts. Beaucoup de ces forêts sont absolument vierges, faute de routes pour y arriver. Les plantes grimpantes, qui s’enlacent autour des chênes et des hêtres, y forment des fourrés impénétrables où l’on ne peut s’avancer, comme au Brésil, que la hache à la main. On n’en voit pas près des lieux habités, parce que les habitans coupent pour leur usage les bois qui sont à leur portée et que les Turcs, afin d’éviter les surprises, ont systématiquement détruit et brûlé toutes les forêts aux alentours des villes et des bourgs. Mais ce qui en reste constitue une richesse énorme ; seulement elle n’est pas réalisable. Derrière Serajewo, jusqu’à Ibar et à Mitrovitza, s’étendent dans les hautes montagnes de magnifiques massifs de résineux. C’est de là que Venise a tiré des bois de construction pour ses flottes pendant des siècles. Les gardes-forestiers ont calculé que, sur les 1,667,500 hectares de bois feuillus et sur les 1,059,700 hectares de résineux, il y avait environ 138,971,000 mètres cubes, dont 24,946,000 de bois de construction et 114,025,000 de bois à brûler. Il serait désolant de vendre maintenant, car les prix qu’on obtiendrait sont dérisoires : de 2 à 5 francs le stère de sapin et 3 à 7 francs pour le chêne, selon la situation. Dans les régions qui avoisinent la Save, on exporte des douves, 7 à 900,000 pièces par an. Le revenu que le fisc tire de ces immenses étendues boisées, plus étendues que toute la Belgique, est presque partout insignifiant : 116,007 florins en 1880, 200,000 pour 1884. C’est une réserve qu’il faut soigneusement conserver pour l’avenir. Ces bois abritent beaucoup de gibier : des cerfs, des chevreuils, des lynx, même des loups et des ours. Ils donnent naissance, dans les mille vallées qui découpent le pays, à une quantité de ruisseaux où abondent les truites et les écrevisses et à une masse de sources, plus de 8,000, prétend-on. Là où cessent les arbres, commencent les pâturages, de sorte que la Bosnie est toute verdoyante, sauf les arêtes des hautes montagnes.

L’Herzégovine présente un aspect complètement différent. La surface du sol est couverte de grands blocs de calcaire blanchâtre, jetés au hasard, comme les ruines de monumens cyclopéens. L’eau y manque complètement : pas de sources ; les rivières sortent toutes formées de grottes, forment l’hiver des lacs dans des vallées sans issue, puis disparaissent de nouveau sous terre. Les Allemands les appellent très bien Höhlen-Flüsse, des rivières de caverne. Telles sont la Jasenitcha, la Buna, la Kerka, la Cettigna et I’Ombla. Rien n’est plus extraordinaire. Dans les dépressions se trouve la terre végétale qui nourrit les habitans. Les maisons, en Bosnie, toutes en bois, sont ici en grosses pierres de l’aspect le plus sauvage. Les arbres