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Il avait tant de pouvoir, chez lui et hors de chez lui, qu’on peut estimer qu’il en avait trop, et que dans l’église telle qu’il l’entendait et telle qu’il l’a faite, il n’y avait plus de place pour l’indépendance de la conscience. J’ai vu des personnes élevées dans la liberté protestante, qui tout en reconnaissant ses grands dons, ne pouvaient supporter sa prédication impérieuse, et l’arrogance avec laquelle il s’annonce comme le représentant de Dieu même, dont l’autorité réside en lui, de sorte qu’une désobéissance devient un sacrilège. Ces esprits repoussaient dans le grand évêque la servitude que l’épiscopat a fait peser pendant des siècles sur l’humanité. Le génie de Cyprien, c’est l’horreur du schisme ; mais ce qu’il appelle ainsi, ceux qui ont échappé au joug romain y voient la vie spirituelle et la religion elle-même. Comment lui sauraient-ils gré d’avoir coupé les ailes de l’âme, et fait du pasteur un pédagogue qui ne permet aux enfans de communiquer avec le Père que par son intermédiaire et sous son congé ? Cependant ils ne devraient pas oublier qu’à cette époque l’église est un camp où les fidèles sont constamment sous les armes, et, que devant l’ennemi, un commandement fort est la condition du salut ; de sorte que parmi les maux qu’ont faits les persécutions, il faut compter qu’elles ont obligé l’église, pour se maintenir libre au dehors, de sacrifier la liberté au dedans, et c’est, je le répète, une raison de plus de les détester.

Mais, en même temps que cette autorité était forte, elle était pourtant toujours contestée, toujours menacée ; puisque, n’étant établie que sur l’opinion, il fallait sans cesse en raffermir les fondemens. L’épiscopat était redoutable ; l’évêque, ou plutôt l’homme, n’en avait pas moins à se défendre, et Cyprien est admirable dans cette défense. Il s’y montre hardi et souple, impétueux et politique ; il y déploie tous les genres d’énergie et tous les genres d’esprit ; il y parait toujours noble et fier, et il excelle à saisir et à mettre en lumière ce que l’adversaire a de petit et de misérable.

Je n’ai pas encore rappelé son éloquence ; c’est que, quoiqu’il ait beaucoup d’art, son éloquence n’est pas tant un art qu’une vertu ; elle est l’expression de la vivacité de son intelligence et de l’ardeur de son âme. J’en ai dit les côtés faibles : elle n’a pour s’alimenter qu’une lecture bornée, une exégèse médiocre et bizarre, point de philosophie, une superstition parfois puérile. Aussi, ce qu’il y a d’impersonnel dans ses discours nous touche peu ; mais quand sa personne est en jeu, ou sa cause, il sent puissamment ce qu’il sent et le rend avec éclat. Les effusions de ses panégyriques ne sont pas indignes de Bossuet, et sa polémique a quelquefois l’ironie incisive d’une Provinciale.

Au IIIe siècle, la littérature profane n’a plus de vie ; la vie est