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que la haine de notre nom (mot à mot, que la haine du nom), il continuait, quand l’occasion s’en offrait, de préparer les fidèles dans ses exhortations du dimanche et les animait à mépriser les souffrances d’ici-bas en s’attachent à contempler la gloire à venir. Il avait, en effet, une telle ardeur pour le ministère sacré de la prédication que le vœu qu’il formait dans la prévision de sa passion était qu’en parlant de Dieu, il fût tué pendant même qu’il répandait sa parole. Telles étaient les occupations de tous les jours de ce prêtre, marqué pour être une victime agréable à Dieu, quand tout à coup, sur l’ordre du proconsul, le princeps[1] se présenta aux horti, à ces mêmes horti qu’il avait vendus en entrant dans la foi, que la bonté de Dieu lui avait rendus, et qu’il aurait certainement vendus encore une fois au profit des pauvres, s’il n’avait craint d’indisposer les esprits à cause de la persécution[2]. Il parut donc à l’improviste avec ses soldats et le surprit, ou, pour parler plus correctement, il crut le surprendre ; car comment un assaut soudain pourrait-il surprendre, en effet, une âme toujours préparée ? »

Ou bien Pontius avait oublié que Cyprien s’était dérobé d’abord, pendant la courte absence du proconsul ; ou bien il faudrait supposer que sans se dérober, en effet, il avait jugé bon de faire croire à sa retraite, pour rassurer l’autorité et pour prévenir tout tumulte. Ce qui est certain, c’est qu’il était dans ses horti quand on l’arrêta, et qu’il y était depuis assez longtemps pour avoir pu croire qu’on fermait les yeux sur sa présence, puisque Pontius nous dit qu’on le surprit[3].

Je reviens à sa lettre ; elle est ferme et résolue, et montre bien qu’il saura mourir ; mais, en même temps, elle est recueillie et contenue. Ce n’est plus cette ardeur intempérante avec laquelle de loin il semblait courir à la mort, demandant aux siens d’obtenir pour lui par leurs prières l’honneur du martyre. De près, la nature est la plus forte ; il sent que chaque mot qu’il prononce est sérieux ; il ne recommande que de ne pas faire de bruit ; sa lettre est, pour ainsi dire, silencieuse ; il espère peut-être que, dans le silence général, on l’oubliera, et il semble qu’il dise, comme le Christ

  1. Le premier centurion.
  2. C’est-à-dire de paraître ainsi faire de la propagande parmi les-pauvres contre l’autorité romaine.
  3. On traduit ordinairement horti par jardins, ce qui n’en donne pas une idée juste. Les horti étaient avant tout une habitation, mais une habitation avec jardins dans l’intérieur de la trille, par opposition à une villa, qui était toujours en dehors (Pline, XIX, 19,1). Sur la vente de ces horti, voir le début de cette étude ; mais Pontius ne noua explique pas comment ils étaient revenus à Cyprien.