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L’empereur, ou celui qui l’inspirait, irrité de n’avoir rien obtenu par les rigueurs mitigées de l’édit de 257, en lança un autre l’année suivante, fait avec la résolution et dans l’espoir de venir définitivement à bout des chrétiens.

Cyprien reçut l’ordre de quitter Curube et de rentrer à Carthage, sans doute parce que l’autorité voulait le tenir sous sa main. C’est là qu’il apprit que la persécution recommençait plus terrible. Il fit partir pour Rome des envoyés pour en savoir davantage. Ils lui rapportèrent qu’une lettre de Valérien au sénat portait peine de mort contre les évêques, les anciens et les diacres, et que Xyste, l’évêque de Rome, avait été exécuté le 6 août, avec quatre diacres, dans le cimetière des chrétiens, c’est-à-dire aux catacombes. L’édit de 257 avait déjà interdit aux fidèles de s’y assembler. D’autres exécutions avaient suivi dans Rome. A sa lettre au sénat l’empereur avait joint les lettres où il adressait aux gouverneurs des provinces des instructions sur ce qu’ils avaient à faire de leur côté. Cyprien écrit à Successus, évêque d’Abbir, qu’il attend l’arrivée à Carthage de ces instructions. Dans cette attente d’une épreuve suprême, il tient tout son clergé rassemblé autour de lui et n’a pu détacher personne pour porter une lettre[1]. Il prie ceux qui recevront sa lettre de la communiquer aux autres, pour que tous préparent les leurs au combat et apprennent à chacun à penser moins à la mort qu’à l’immortalité et à se réjouir plutôt qu’à redouter d’avoir à gagner la couronne. C’est le même élan à peu près que dans la lettre aux confesseurs.

La dernière de Cyprien a été écrite quand la mort était, pour ainsi dire, à sa porte. Elle est adressée à son clergé et à son peuple, et l’évêque y parle comme s’il n’était plus au milieu d’eux. Je la traduis tout entière.

« Frères bien-aimés, la nouvelle m’ayant été apportée qu’on avait envoyé des agens pour me conduire à Utique, et ceux qui me sont le plus attachés m’ayant engagé à m’éloigner pour un temps de mes horti, j’y ai consenti et j’ai eu une bonne raison de le faire : c’est qu’il convient qu’un évêque confesse le Seigneur dans la cité même où il gouverne l’église du Seigneur, et que le chef présent honore tout son peuple. Car tout ce que dit l’évêque confesseur à l’heure de la confession, il le dit par la bouche de tous sous l’inspiration de Dieu. Et ce serait une blessure à l’honneur de cette église si généreuse, si j’allais faire ma confession à Dtique, moi évêque d’une autre église, et y recevoir ma sentence pour aller de là

  1. On peut supposer que celle-ci devait partir par un messager que Successus lui-même et d’autres qui se trouvaient avec lui avaient envoyé à Carthage.