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accuser de manquer de goût. Il nous étonne, par exemple, quand il dit à ces confesseurs qu’ils sont bien à leur place dans leurs mines, car ils sont des vases d’argent et d’or, et c’est dans les mines qu’on doit trouver l’or, et l’argent ; ou quand il assure que les coups de bâton, préliminaire accoutumé, à ce qu’il parait, des autres peines, ne sauraient être insupportables à un chrétien ; car comment aurait-il horreur du bois du bâton, celui qui a mis dans le bois de la croix toute son espérance ? On se demande si cette rhétorique touchait ceux qui recevaient ces coups, surtout débités par un orateur qui lui-même restait à l’abri de ces misères. Eh bien ! nous avons la réponse des confesseurs[1], et elle ne permet pas de douter qu’ils n’aient reçu la lettre de Cyprien avec admiration et reconnaissance. C’est qu’ils ne lisaient pas ces choses aussi tranquillement que nous les lisons. Maltraités incessamment et exaspérés, il ne leur restait des plaisirs humains que l’orgueil, et l’orgueil était caressé par toutes ces figures oratoires. L’éloge redoublé et retourné de toutes manières paraît toujours de bon goût à celui qu’on loue.

Il est vrai qu’avec les beaux discours il envoyait aussi de l’argent, qui soulageait bien des souffrances. Les confesseurs le remercient à la fois et de ses secours et de son éloquence ; ils ne craignent pas de dire qu’elle a pansé les plaies que le bâton avait faites. Ils lui adressaient en même temps la louange la plus délicate, et qui devait lui être, on a vu pourquoi, la plus sensible, en rendant hommage à sa confession devant le proconsul ; en déclarant que c’est lui qui a donné l’exemple à tous et qui a sa part de l’honneur de tous les martyres. Il est vrai qu’en leur écrivant il se remplit lui-même de l’enthousiasme qu’il admire en eux ; il a dans son cœur tout l’enivrement d’un triomphe (qui triumphas in perfore) ; il sent Dieu présent et le ciel ouvert. Et il termine en demandant à ceux à qui il s’adresse, puisque leur prière à cette heure doit être particulièrement efficace, de prier ardemment pour que Dieu couronne également leur confession et la sienne, pour que, lui aussi, il soit délivré avec eux des ténèbres et des trahisons du monde, désormais sauvé et glorieux ; « afin qu’après avoir ensemble, unis par les liens de la charité et de la communion, tenu tête aux iniquités des hérétiques et aux violences des gentils, nous nous réjouissions ensemble dans le royaume céleste. » Il ne savait pas lui-même, en parlant ainsi, combien le terme était proche.

  1. Il y a trois réponses (lettres 77-70), sans doute parce qu’ils étaient divisés en trois groupes, qui ne se trouvaient pas enfermés ensemble ; mais elles sont toutes pareilles.