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l’argumentation. Ce n’est pas le rhéteur, c’est le docteur qui veut trop paraître. Le docteur, ce me semble, n’est pas supérieur dans Cyprien ; il est loin d’égaler de ce côté Tertullien son maître ; non que celui-ci ne soit souvent aussi subtil et forcé, mais il est à la fois plus savant et plus original ; il a plus d’esprit, plus d’imagination, une invention plus riche. On le reconnaîtra si on prend la peine de lire en regard l’un de l’autre un discours de chacun des deux écrivains sur le même sujet, comme sur l’Oraison ou la Passion. Cyprien ne fait souvent que reprendre le même thème, et il le traite avec moins de force.

La supériorité de Cyprien est ailleurs : c’est un homme d’action et un homme de gouvernement ; c’est un tribun, un soldat et un martyr. Quand il attaque ou qu’il se défend, quand il sonne la charge ou la victoire, sa parole est vive, ferme et pleine et s’empare entièrement de nous. Sa langue d’ailleurs est beaucoup plus pure que celle de l’autre Africain ; sans être la langue classique, elle en est voisine, et personne parmi les pères n’écrit mieux que lui. On a pu en juger plus d’une fois dans le courant de cette étude ; et particulièrement dans le discours sur les Tombés ou la Lettre à Pupianus. Mais au moment où il remplissait l’église de Carthage de la puissance de son action et de l’éclat de son éloquence, tout s’assombrissait autour de lui, les jours mauvais étaient revenus, et la mort allait lui faire expier sa gloire.


V. — MORT DE CYPRIEN.

La persécution, suspendue avant la mort même de Décius, n’avait pas repris sous Gallus, ou du moins elle se réduisit alors à très peu de chose. Cornélius, l’évêque de Rome, fut interné à Centumcellæ (Civita-Vecchia), où il mourut peu après. Son successeur Lucius fut relégué à son tour, mais rentra dans Rome presque aussitôt. Quant à Stéphanus, la tradition qui en fait un martyr ne parait avoir aucun fondement.

Valérien, qui succéda bientôt à Gallus, laissa d’abord les fidèles en pleine paix. Aucun empereur ne leur avait été plus favorable, et son palais, dit Eusèbe, était une église, tant il était plein de chrétiens. C’est seulement en 257, sous le pontificat de Xyste[1], six ans après la mort de Décius, qu’à l’instigation de Macrien, très ardent pour la religion établie, Valérien revint aux persécutions.

C’est alors que Cyprien dut comparaître devant le proconsul Aspasius Paternus. Pontius nous renvoie, au sujet de son

  1. Xysta est la forme véritable du mot, qui est grec.