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composé ce discours : dès qu’il l’a été, il n’a plus rien écrit de semblable. Il n’a gardé de son ait que ce qu’il en fallait pour parer son éloquence aux jours de fête, mais d’une parure qui ne faisait alors que satisfaire à l’enthousiasme de ses auditeurs et par laquelle cette éloquence était à la fois brillante et populaire, tandis que les coquetteries de ce discours ne pouvaient séduire que des esprits habitués à tous les raffinemens des écoles.

Partout ailleurs, Cyprien est un écrivain sérieux[1], sans être pour cela un écrivain sans défauts. J’ai montré déjà, à propos du discours sur l’Unité de l’Église, combien est monotone et fatigante cette accumulation de versets de l’Écriture qui n’ajoutent pas toujours à la démonstration et qui n’y ont quelquefois aucun rapport ; j’ai indiqué les subtilités et les bizarreries où cette méthode le conduit. C’est un véritable danger pour l’esprit humain de s’enfermer dans des dogmes ; c’en est un autre de s’emprisonner dans des textes dont le cadre est nécessairement trop étroit pour contenir toutes les pensées que la vie et les événemens peuvent suggérer ; de sorte que, pour y rattacher ce qu’il a dans l’esprit, l’écrivain doit faire de véritables tours de force. Il faut bien avouer qu’une grande partie de la littérature chrétienne, à partir des Épîtres de Paul, est envahie par ce vain travail. C’est ainsi que, dans le discours sur l’Oraison dominicale (n° 16) pour commenter ces paroles : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ! » il nous dit que la terre signifie le corps, parce qu’il a été fait de la terre ; que le ciel signifie l’esprit, parce que celui-ci vient du ciel ; de sorte que, par cette prière, nous demandons que notre chair s’accorde et se soumette à l’esprit de Dieu. Dans un autre endroit (n° 28), il cite un verset d’Isaïe : « Le Seigneur fera entendre une parole brève par toute la terre[2], » ce qui signifie qu’il se révélera d’un seul mot, pour ainsi dire, ou d’un seul coup en relevant Israël. Cyprien nous assure qu’Isaïe prophétise dans ce passage l’Oraison dominicale, qui est, en effet, une prière courte. On voit assez combien un tel procédé est stérile et impatientant.

L’écrivain, dans ces endroits, est encore trop occupé de lui-même, non pas, comme autrefois, pour se faire valoir par les élégances du langage, mais pour se recommander par la dialectique et l’art de

  1. C’est pourtant encore le rhéteur qui a trouvé, par exemple, cette gentillesse au début de son discours sur le mérite de la patience : « Voulant vous parler de la patience, frères bien-aimés, et non en développer les avantages et les bienfaits, par où pourrais-je mieux commencer qu’en remarquant qu’en ce moment déjà, pour m’écouter, la patience vous est nécessaire, de sorte que cela même, entendre et apprendre, vous ne le pouvez qu’à l’aide de la patience ? »
  2. , C’est la version des Septante, qui ne parait pas conforme à l’hébreu.