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absolument inconciliable avec le nom de chrétien, mais qui enseigne son art et y forme de jeunes garçons. On voit par la réponse (lettre 2) ce qu’était alors le théâtre et qu’il s’agissait de former ces enfans à jouer des rôles de femmes dans des pantomimes-impudiques. Cet homme disait qu’il avait besoin de son art pour vivre. Cyprien répond que s’il ne s’agit que de vivre, et non de gagner, on pourvoira à ses besoins. Il offre de s’en charger lui-même à Carthage, celui qui lui écrit étant sans doute l’évêque d’une petite et pauvre cité, mais il se refuse absolument à tolérer qu’un homme qui fait ce métier demeure dans l’église.

Cyprien parle en son seul nom dans cette lettre. Dans d’autres il répond au nom de plusieurs évêques, qu’il a saisis des questions qu’on lui a soumises. Dans la lettre 1, il s’agit d’un ancien qu’un chrétien, par son testament, a chargé d’une tutelle. Chez les gentils, ceux qui enseignaient la jeunesse étaient dispensés des obligations de ce genre[1]. L’église prétend pour son clergé à la même dispense, et ne pouvant la faire reconnaître par l’autorité publique, elle s’attache à la faire respecter par les siens. Les évêques décident qu’on ne fera pas de prières et qu’on n’offrira pas le sacrifice pour un mort qui a méconnu le privilège ecclésiastique. C’est une excommunication posthume. Ailleurs (lettre 3), à un évêque qui se plaint qu’un diacre a manqué envers lui de soumission et de respect, on répond que ce diacre devra faire satisfaction sous peine d’être rejeté de l’église.

Mais on lit avec étonnement la lettre 4, sur des vierges que l’évêque Pomponius avait dénoncées. Les Vierges formaient chez les chrétiens une espèce de corporation. L’église les prenait comme sous sa garde, et les protégeait ainsi contre les dangers ou contre les tristesses de leur célibat. Elles n’étaient pas enfermées ; elles avaient seulement dans l’assemblée une enceinte réservée pour elles[2]. Elles s’étaient vouées à Dieu, dit Cyprien, mais ce vœu ne constituait pas alors une obligation, puisqu’il dit encore que, si elles sont lasses de leur virginité, elles n’ont qu’à se marier et qu’elles ne causeront ainsi aucun scandale. Eh bien ! des vierges avaient été convaincues d’avoir partagé, non-seulement le logement, mais le lit d’un homme ; et il y avait un diacre parmi les hommes qui avait eu commerce avec elles. Ce sont là des faiblesses humaines qu’aucune discipline ne peut prévenir. Plus tard l’église a préservé ses

  1. Digeste, 27, I, 6.
  2. La veille de son exécution, Cyprien dut attendre l’audience du proconsul dans le logement d’un officier de ce magistrat. Tous les fidèles passèrent la nuit à la porte de cette maison. Les vierges y étaient aussi rassemblées ; on nous dit que l’évêque prit soin qu’on veillât sur elles.