Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

semaines, avec cette vigoureuse trempe militaire qui l’a fait illustre. Plus que tout autre, l’amiral Jauréguiberry, qui fut, lui aussi, un des héros de l’armée de la Loire, avait le droit de fixer, comme il l’a fait, en traits sobres et virils, sans vaine emphase, le caractère de cette campagne et du chef qui y a trouvé, à défaut de la victoire, l’honneur de faire flotter au vent, jusqu’à la dernière heure, les lambeaux du drapeau déchiré de la France. Chanzy a été mêlé depuis à la politique ; mais il n’en subissait pas l’influence, il n’en acceptait ni les passions ni les solidarités malfaisantes. Il était resté, avant tout, un soldat qui avait le privilège rare d’inspirer la confiance, et son plus grand honneur est d’avoir laissé cette impression que si, lui présent, il y avait eu des événemens que sa raison n’appelait pas, mais que son cœur ne craignait pas, il était fait pour conduire nos armées et peut-être pour relever la fortune de la France. Le monument du Mans est l’expression de cette pensée, qui, en vérité, n’a rien de menaçant pour la paix, on avait à peine besoin de le dire. C’est l’hommage à un soldat digne de servir de modèle, et ce qui a été fait pour l’homme disparu depuis quelques années déjà, mais toujours vivant dans la mémoire du pays, était bien dû aussi à ce mort d’hier, à ce vaillant chef d’escadre, ramené pour un instant par ses marins sous ce dôme des Invalides, où tout le monde n’entre pas.

Ces honneurs rendus presque en même temps à Chanzy et à Courbet, cette commémoration, ces funérailles, avec leur caractère sérieux et émouvant, ont le mérite de montrer que le sentiment populaire aime toujours ceux qui savent servir la France, tandis que d’autres s’agitent, briguent les candidatures ou font des programmes de révolutions. Que voit-on dans cet amiral qui est mort au loin sur son navire, commandant d’une voix déjà plus qu’à demi éteinte jusqu’à sa dernière heure ? Un homme qui a fait son devoir sans doute, qui n’a fait que son devoir, si l’on veut, mais qui, en le faisant, a honoré le pays, la marine qu’il a pénétrée de son âme, l’armée de terre qu’il a un instant conduite, le drapeau qu’il a porté sous le feu. Pendant deux années, en effet, Courbet est resté, dans ces mers lointaines, chargé au premier rang de cette campagne où ce qu’il y avait de plus difficile n’était pas de combattre, où le chef avait à veiller à tout, à préparer des débarquemens, à entreprendre des opérations qu’il n’approuvait pas toujours, à renouveler ses ressources, à défendre ses équipages du découragement ou des contagions. Pas un instant on ne sent la défaillance ou l’impatience chez ce chef d’escadre qui accomplit son œuvre sans bruit, sans agitation vaine et sans hésitation. Un des traits caractéristiques en lui au contraire est la simplicité ferme et juste du commandement. Courbet avait visiblement quelques-unes des qualités supérieures de l’homme de guerre et de mer : la sûreté vigilante dans le service, la netteté du coup d’œil, l’habileté réfléchie et