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mines leur appartenaient, leurs factoreries étaient prospères, leurs jonques allaient partout, et ils n’oubliaient pas Confucius. Le voyageur français Pyrard, qui visita l’Inde dans les premières années du XVIIe siècle, les vit à Goa comme à Bantam, où abordaient chaque année leurs vaisseaux chargés de colonnades, de soieries, de porcelaines. Leurs maisons témoignaient de leur opulence ; mais alors comme aujourd’hui, ils ne souffraient pas qu’on enterrât leurs morts en pays étranger, ils les renvoyaient pieusement dans le royaume fleuri, le seul qui connaisse le repos.

Dès ce temps ils avaient pris contact avec les Européens. On se rencontrait sur terre neutre et c’était tout profit. Les Espagnols apportaient à Manille l’or du Pérou et du Mexique, les Chinois le recevaient de leurs mains et l’emportaient en Chine. Tout a changé depuis que nous sommes venus les trouver chez eux et que nous avons forcé leur porte en leur disant : « Ouvrez-nous votre maison, la nôtre vous est ouverte : la libre concurrence est la loi de ce monde. » Ils finiront par le croire, et il n’est pas sûr que cette affaire tourne aussi bien que nous le pensions ; il pourrait arriver que la Chine en fût le bon marchand. Les vertus prêchées par Yao et par Choun, par Wan et par Wu ne sont pas les plus brillantes et les plus flores des vertus ; elles ne feront ni des Pierre l’Ermite, ni des missionnaires et des martyrs, ni des paladins et des héros de roman ; mais elles sont les plus utiles dans la grande lutte pour l’existence. Un homme d’état disait que l’avenir appartient à ceux qui ont le moins de besoins, et Dieu sait que nous ne sommes pas des Chinois, que nous n’avons pas le contentement facile. Il n’est pas à craindre que la Chine devienne jamais une nation militaire ; elle ne serait plus la Chine. Mais les États-Unis ont déjà reconnu que leurs ouvriers ne pouvaient lutter avec les siens. Tout porte à croire que la race jaune jouera un rôle considérable dans l’histoire économique du XXe siècle. Si avant peu les fils de Han affluaient chez nous et y devenaient incommodes, nous n’aurions pas le droit de nous en plaindre ; quelque descendant de Confucius nous dirait : « Tu es allé chercher l’abeille, ne te fâche pas si elle te pique. »


G. Valbert.