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Était-ce exagérer tout à l’heure que de dire qu’il ne serait pas sans fruit, après avoir tant parlé du « pyrrhonisme » de Pascal, d’examiner un peu son pessimisme ; et croyez-vous que Vinet se trompât quand il y voulait voir la doctrine ou au moins l’une des bases de la doctrine des Pensées ? Disons-le donc avec lui : le pyrrhonisme de Pascal n’est qu’une des formes ou une des faces de son pessimisme ; et de l’insuffisance de nos moyens de connaître, la conviction que tirent les Pensées n’est pas tant celle de notre impuissance à trouver la vérité que celle de notre corruption et de notre déchéance d’un état où nous peuvent seules remettre la religion et la vie chrétienne. Quelques mots de M. Derome, dans la dernière partie de son Introduction, donneraient à penser que, s’il n’a pas démêlé très nettement, du moins a-t-il entrevu quelque chose de tout cela. Nous ne saurions, pour notre part, affecter la prétention, en quelques lignes ou quelques pages, de l’éclaircir autant qu’il le faudrait pour l’avoir démontré. Mais il y a là certainement une recherche à faire, une recherche intéressante, et, — puisque ce n’est pas moi qui m’en suis avisé, — j’ose dire qu’elle serait féconde en résultats heureux. Je n’en citerai qu’un seul exemple. Elle terminerait la question des emprunts si nombreux que Pascal a faits à Montaigne, pour les marquer de son originale et si profonde empreinte, je veux dire la question de l’emploi qu’il en eût fait pour son Apologie de la religion chrétienne. Combien de fois s’est-on demandé s’il les avait transcrits pour en autoriser ses propres démonstrations ou, au contraire, pour combattre et réfuter Montaigne ? « Il y a sans doute des lois naturelles, mais cette belle raison corrompue a tout corrompu. Ex senatusconsultis et plebiscitis crimina exercentur. » Est-ce Montaigne, est-ce Pascal qui parle ? Et la question ainsi posée, dans l’état d’inachèvement où nous sont parvenues les Pensées, demeure en effet insoluble. Mais elle se décide, ou plutôt elle s’évanouit et ne se pose pas seulement, si nous sommes une fois convaincus du pessimisme de Pascal. Car la corruption de cette belle raison, en ce cas, est son dogme ; et plus profonde est la corruption, plus éclatante en devient la nécessité de la religion que veut prouver l’apologiste. Encore une fois je signale donc et même je recommande cette étude ou cette recherche du pessimisme de Pascal. Elle n’est pas faite, elle est à faire ; et cela vaudra toujours mieux que de s’obstiner comme nous faisons les uns après les autres à déranger l’ordre tel quel que Port-Royal avait mis dans les Pensées de Pascal, pour n’aboutir nous-mêmes qu’à y mettre un désordre inédit.

Je pousserai plus loin la hardiesse, et, à ceux qui voudront étudier Pascal et ses Pensées, je conseillerai de commencer par étudier la religion même. Comme l’œuvre de Bossuet, comme l’œuvre de Fénelon, comme l’œuvre de Bourdaloue, la religion remplit l’œuvre entière de Pascal ; or, c’est beaucoup si nous en savons ce que le catéchisme