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Pascal s’établit sur les ruines de l’éclectisme ! À quelque raillerie méprisante qu’il se soit emporté contre la science humaine, si Pascal est un sceptique, où trouverez-vous un croyant ?

Au contraire, à ce mot impropre et trompeur ici de pyrrhonisme, si l’on substitue, avec Vinet, celui de pessimisme, combien d’obscurités aussitôt ne s’éclaircissent-elles pas dans les Pensées, et combien de contradictions ne s’y concilient-elles point ? Oui, je sais qu’on l’a compromis, ce mot, depuis quelques années, dans de fâcheuses aventures ; et, parce que beaucoup s’en servent aujourd’hui, je conviens que ce n’est pas à dire pour cela qu’ils le comprennent tous. Mais ceux qui croient faire merveille en se moquant agréablement de tout ce qu’il représente sont évidemment ceux qui le comprennent le moins. Si l’on déclare en termes généraux que « la vie est mauvaise, » ils s’imaginent qu’il n’y a d’autre issue du pessimisme que « la destruction de la vie. » Ils se trompent du tout au tout ; et l’on dit uniquement que la vie de ce monde n’a pas son but en elle-même, ce qui mène uniquement à placer la fin de l’homme en dehors et au-delà de la vie de ce monde ; laquelle croyance est si peu le principe de désespoir, de découragement et d’inertie qu’ils y voient, qu’au contraire c’est elle que l’on trouve à la racine des grandes religions qui se partagent l’humanité. Le bouddhisme et le christianisme sont nés de l’impossibilité même de porter le poids de la vie sans y être aidé par quelque secours extérieur et supérieur à la vie. Voilà le pessimisme de Pascal, et voici maintenant le fond de ses Pensées. Si la vie est mauvaise, et elle l’est, puisqu’elle ne peut contenter ni notre désir de bonheur, ni notre soif de science, ni notre rêve de vertu, cependant nous ne pouvons pas en accuser l’auteur même de la vie, puisque cet auteur, s’il existe, ne peut rien avoir l’ait que de bon. Que reste-t-il donc, sinon de nous en accuser nous-mêmes ? et c’est l’explication de « l’énigme incompréhensible » ou de « l’amas de contradictions » que nous sommes, c’est le dogme du péché originel, qui nous rend également raison de notre misère et de notre grandeur. Ici se place le mystère de la rédemption, qui ne serait pas « mystère » s’il ne choquait pas rudement notre intelligence. Aussi n’est-ce pas à l’intelligence, mais à la volonté qu’il faut demander de le croire : « Travaillez non pas à vous convaincre par l’augmentation des preuves de Dieu, mais par la diminution de vos passions ; » et « en suivant les gens qui savent ce chemin, vous guérirez du mal dont vous voulez guérir : » c’est la voie du salut, et c’est le dogme de la grâce. Or, ces dogmes et ces mystères, une religion les enseigne, et il n’y en a qu’une : c’est donc la vraie religion, celle qu’en ne croyant pas vous mettez non-seulement au hasard votre salut éternel, mais encore tout ce qui ferait le prix de la vie de ce monde, et, de plus, vous vous devenez à vous-même, ainsi que la nature et l’histoire, un monstre et un chaos.