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par le calme, avant que les galères puissent leur porter secours. Sainte-Maure était, à cette époque, aussi bien que l’Épire, possession des Turcs ; la flotte de Barberousse trouvait donc un double avantage à combattre, appuyée au rivage. Un groupe de galères musulmanes s’est jeté entre le galion et la terre, qu’on peut, en cet endroit, ranger presque à toucher. Ces galères contournent le vaisseau de Condulmiero hors de la portée de son canon, elles reviennent sur leurs pas dès qu’elles l’ont dépassé. Le galion leur présentait alors le côté de tribord. Allaient-elles fondre sur cette forteresse isolée et tenter de l’enlever à l’abordage ? Le fracas des tambours et des autres instrumens de guerre, mêlé aux cris sauvages qui, chez les Turcs, précèdent généralement l’assaut, le fit craindre un instant. Heureusement pour Condulmiero, ces vaisseaux lancés à toute vogue, ces assaillans furieux dont les proues poussaient devant elles un blanc rouleau d’écume, suspendirent tout à coup et d’un commun accord leur élan. Une volée générale d’artillerie, suivie d’un épais nuage de fumée, indiqua le dessein d’engager le combat à distance. Les gens du galion demeurent fermes et calmes sous la tempête de projectiles. Condulmiero a prescrit de ne point tirer un seul coup avant que les Turcs soient à portée de mitraille. Le silence le plus complet règne à bord ; les Turcs pourraient douter qu’il existe des canons à bord de ce vaisseau qu’un reste de houle balance. Déjà cependant le grand mât de hune, entraînant dans sa chute le grand mât de perroquet où flottait tout à l’heure l’étendard de Saint-Marc, a été emporté par un boulet. Rassurés par l’impunité avec laquelle ils poursuivent leur tir, les Turcs se sont peu à peu rapprochés au point de pouvoir se servir de leurs arquebuses : Condulmiero saisit le moment ; du geste et de la voix il donne le signal. Il a été recommandé aux bombardiers de ne pas s’exposer à perdre leurs coups en cherchant à frapper les galères de plein fouet : « Tirez bas, leur a dit le brave capitaine vénitien, les boulets rebondiront et glisseront sur l’eau. « Quelles belles polémiques j’ai vues s’engager, il y a trente ans, entre les partisans du tir horizontal et les défenseurs non moins éloquens du pointage en hauteur ! Les canons rayés et les boulets coniques ont ruiné à jamais le tir à ricochet : c’est une perte pour la balistique, et si l’on ne nous laissait entrevoir dans un avenir prochain des trajectoires tendues comme la corde d’un arc, je serais presque tenté de regretter le vieux boulet rond : il nous dispensait du moins, celui-là, d’apprécier les distances, appréciation toujours si difficile entre deux adversaires en mouvement. Le tir de plein fouet nous a, dans un autre temps, coûté cher : de 1792 à 1816 nos projectiles se sont égarés presque