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capitan-pacha égalait son courage. Jamais Khaïr-ed-din ne se présenta au combat sans s’y être préparé par le jeûne et par la prière. Des versets du Koran, inscrits sur de longues banderoles, furent attachés aux deux flancs de la capitane et, — chose merveilleuse à voir, — le vent s’apaisa soudain. Que la volonté de Dieu et de son Prophète s’accomplisse ! Ce qui est écrit au livre du destin ne saurait manquer d’arriver. Ordre est donné de procéder sur-le-champ au débarquement des canons : Mourad-Reïs sera chargé de la construction des batteries. A peine la tranchée est-elle ouverte que la sagesse de Barberousse, à la confusion de ses contradicteurs, apparaît dans tout son jour : les troupes turques ne peuvent soutenir le feu violent du galion et des naves. Après avoir subi de grandes pertes, les soldats de Mourad-Reïs doivent baisser pavillon devant la mitraille. Doria, pendant ce temps, faisait tàter la passe par un détachement de galères : Barberousse oppose sur-le-champ à ces éclaireurs un égal nombre de vaisseaux à rames. On se canonne, on se harcèle pendant toute la journée. Cette agitation si bruyante sera sans résultat : n’y voyez qu’une satisfaction donnée aux impatiens ; Doria ni Barberousse ne veulent combattre. Barberousse comprend trop bien son infériorité, et Doria, parviendrait-il, à force de provocations, à faire sortir la flotte ottomane, hésiterait encore à risquer un combat sérieux, sachant bien que les suites de ce combat exposeraient au naufrage des naves démâtées et des galères privées par l’abordage de la majeure partie de leurs rames. On sait quels ravages produisit la tempête dans l’armée victorieuse que la mort de Nelson laissa le soir de Trafalgar aux soins de Collingwood.

La nuit venue, Mourad-Reïs, désireux de faire oublier la retraite qui donne si bien raison à Barberousse, envoie attaquer le galion par quelques bâtimens légers. Le galion était sur ses gardes : les chaloupes chargées de janissaires sont obligées de se replier. Les marins ottomans n’auront pas le droit de railler les sapeurs, que l’ennemi a chassés, en quelques volées, de la tranchée. Le 27 au matin, Doria prend le parti de poursuivre sa route vers le golfe de Lépante. Les galères donnent la remorque aux naves. Trop lourd pour être ainsi traîné, le galion est laissé à ses propres forces. La flotte se dirige lentement vers le sud en longeant la côte occidentale de l’Ile Sainte-Maure. A la vue des chrétiens évacuant le mouillage où se développait si majestueusement leur flotte, les musulmans dont l’inquiétude s’était le moins dissimulée changèrent brusquement de langage ; on les vit passer soudain des terreurs d’une imagination frappée à un excès d’audace et d’arrogance. Leur présomption trouva un dangereux interprète dans le tchaous de la Sublime-Porte, eunuque chargé par Soliman d’accompagner et probablement aussi de