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Négrepont, — la question des vivres peut entraver les mouvemens d’une flotte aussi bien que ceux d’une armée, — Barberousse apprend l’entreprise de Grimani sur Prévésa. Il fait choix à l’instant de quelques bons marcheurs et les envoie dans l’Adriatique en reconnaissance. Ces éclaireurs comptent 40 bâtimens chrétiens mouillés dans le golfe de l’Arta : ils revirent de bord et rejoignent en toute hâte Barberousse. Le capitan-pacha n’hésite pas une minute ; toute la flotte en moins d’une heure est sous voiles : quand elle arrive devant Prévésa, la rade est vide : Grimani, fort heureusement pour lui, s’est déjà replié vers Corfou. Que va faire Barberousse ? Ira-t-il à la recherche de la flotte ennemie ? Lui offrira-t-il le combat, malgré la disproportion des forces ? Barberousse ne saurait engager une si grosse partie sans l’aveu formel du sultan. Des bâtimens à rames lancés immédiatement à la découverte ont intercepté devant Corfou un bateau-pêcheur ; Barberousse expédie l’équipage à Constantinople. Il faut que le sultan interroge lui-même ces prisonniers, qu’il apprenne de leur bouche quelles forces sa flotte, en cas de conflit, aurait à combattre. Donnés en pleine connaissance de cause, les ordres de Soliman seront exécutés à la lettre. Pour attendre les instructions précises qu’il réclame, Barberousse entre dans le golfe de Prévésa : un goulet étroit battu par l’artillerie du fort, enfilé par le feu des galères, lui paraît une garantie de sécurité suffisante. Si Antoine eût attendu dans cette position les attaques d’Octave, il est à présumer que l’avantage n’eût pas été du côté des liburnes ; les gros vaisseaux égyptiens, combattant de pied ferme, auraient probablement anéanti la flottille, qui ne dut la victoire qu’à son agilité. La difficulté de pourvoir, avec les ressources épuisées du Péloponèse, à la subsistance d’une nombreuse armée, le désir d’arrêter les défections en transportant sur un autre terrain, loin de l’Italie et des excitations du forum, le théâtre de la guerre, influèrent sans aucun doute sur la décision de l’ancien lieutenant de César. Antoine ne voulait que passer au travers de la ligne de blocus ; il se trouva, par la lourdeur d’une flotte impuissante à se dérober, entraîné à combattre dans des conditions tout à l’avantage de son adversaire. Les eaux de l’île Sainte-Maure ont vu ainsi, à quinze cent soixante-neuf ans d’intervalle, la même bataille, renouvelant en quelque sorte ses phases, se livrer : une première fois, sous le nom d’Actium, entre Octave et Antoine, le 2 septembre de l’année 31 avant Jésus-Christ ; une seconde fois, sous le nom de Prévésa, entre André Doria et Barberousse, le 27 septembre 1538 de notre ère. La mobilité, la confiance qu’inspire à des coques légères leur faible tirant d’eau triomphèrent dans les deux occasions de la force massive paralysée par l’état de la mer, les inégalités du fond et