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rôle parce que, jusque dans la véhémence de ses invectives, il y a toujours quelque vérité. Quand il développe son programme de radicalisme, il n’est plus que le théoricien d’un certain nombre de banalités révolutionnaires, qui ne sont ni nouvelles ni inoffensives. Et, qu’on le remarque bien : même en se prêtant à ce programme de revendications à la fois chimériques et meurtrières, il ne réussit pas encore à satisfaire ceux qui vont plus loin que lui, ceux qui le trouvent déjà trop modéré, presque réactionnaire. En combattant les opportunistes, il est traité à son tour en opportuniste par la démocratie extrême. Il représente une nuance de radicalisme qui, sans se confondre avec le socialisme, n’est pas moins dangereuse, qui, en s’introduisant par degrés dans la politique républicaine depuis quelques années, en pesant sur les ministères, a contribué justement à créer cet état de fatigue, d’instabilité et de doute où l’on est aujourd’hui. C’est ce qu’il y a de plus clair. Si le pays trouve que son mal ne va pas assez vite, il n’a qu’à voter pour le programme de radicalisme que M. Clemenceau va lui porter dans ses pérégrinations électorales.

Non sans doute, le radicalisme de M. Clemenceau, suivi du radicalisme de bien d’autres, n’a rien de tentant pour un pays qui demande la sécurité et à qui on promet le mouvement perpétuel, des expériences nouvelles, de prétendues réformes qui ne sont que des guerres incessantes aux croyances ou aux intérêts. Qu’ont à offrir, de leur côté, à ce pays fatigué et perplexe, les opportunistes que M. Clemenceau combat comme des ennemis et qui ont formé jusqu’ici l’armée passablement confuse de tous les ministères républicains ? Les opportunistes ont été visiblement quelque peu étourdis, il y a quelques mois, du coup qui a frappé et emporté le précédent cabinet ; ils avaient trouvé leur homme dans le dernier président du conseil et ils ont été mis en déroute avec lui dans la bourrasque du 30 mars. Depuis, ils ont essayé de se reconnaître, et ils entrent à leur tour en campagne. Que sont-ils et que représentent-ils réellement, ces opportunistes, dans la mêlée ’nouvelle des élections ? Ce n’est pas, à ce qu’il paraît, bien facile à préciser, puisque les chefs du parti, réunis en conclave depuis quelques semaines, ont eu tant de peine à s’entendre sur un programme qui ressemble un peu au vieillard de la fable, à qui ses deux maîtresses arrachaient tour à tour les poils blancs et les poils noirs ; mais tandis que le comité façonne et remanie son programme ou rallie des adhésions, celui que les opportunistes ont reconnu assez longtemps et reconnaissent encore pour leur chef, M. Jules Ferry, engageant plus vivement l’action, vient d’aller à Lyon avec l’intention évidente de tenir tête à M. Clemenceau, d’opposer réunions à réunions, manifestes à manifestes. C’était certainement un acte hardi d’aller à Lyon, en pleine démocratie radicale, relever le drapeau d’un parli naguère encore vaincu,