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sans laisser en héritage au sénat une loi militaire dont la conséquence évidente, si elle était votée et appliquée, serait tout simplement la désorganisation de l’armée, mieux encore, la décadence de tout esprit militaire en France. Cette chambre de 1881, qui vient de disparaître, elle a remué assurément bien des questions ; elle les a remuées, elle ne les a pas résolues ; elle n’a fait que les compliquer et les rendre plus difficiles. Le plus clair est qu’elle s’est usée et épuisée dans des travaux sans suite, dans des conceptions sans maturité, dans des entreprises sans prévoyance, dans des réformes décousues, se réduisant le plus souvent aux proportions d’une œuvre de parti et de secte. Elle a cru toujours être une chambre réformatrice, on lui a fait ce compliment ; elle n’a réussi, en réalité, qu’à offrir le spectacle d’une impuissance agitée et agitatrice, jouant avec tous les intérêts comme avec les sentimens les plus vivaces, les plus profonds de la conscience. Elle s’est figuré, parce qu’elle avait la puissance, pouvoir tout se permettre impunément ; elle n’est arrivée qu’à tourner contre elle tous ceux qu’elle a froissés ou trompés, à être une assemblée sans autorité, sans direction, et même, en définitive, sans majorité, si ce n’est pourtant lorsqu’il y a eu quelque religieux à dévorer ou quelque prêtre à priver de son traitement. « Avec la victoire, disait récemment M. Clemenceau, sont venues les désillusions et les divisions. » Il y a des désillusions parce qu’on n’a pas réussi et qu’on le sent bien ; il y a des divisions parce qu’on ne veut pas partager la responsabilité d’une situation qu’on a créée ensemble et dont on s’aperçoit que la France finit par se lasser. C’est là peut-être aujourd’hui l’état réel des choses, qui pourrait être caractérisé ainsi : une fatigue universelle et indéfinissable dans le pays, qui sent ses intérêts compromis, la déconsidération d’une assemblée finissant dans l’impuissance et la turbulence, la république remise en doute par ceux qui l’ont mal servie, les républicains eux-mêmes inquiets et divisés devant le scrutin qui va s’ouvrir.

Qu’en sera-t-il, en effet, de ces élections prochaines qui paraissent désormais fixées au 4 octobre et qui vont être évidemment pour toutes les opinions, pour tous les partis, une occasion nouvelle de luttes passionnées, de mêlées ardentes et probablement assez confuses ? Il est certain que si parmi les conservateurs de toutes les nuances : monarchistes, impérialistes, il y a des divisions qui sont assez visibles, qui restent peut-être encore pour le moment la garantie la plus effective de la république, les partis républicains eux-mêmes sont pour le moins aussi divisés. Ils paraissent jusqu’ici aller aux élections un peu comme des frères ennemis, et le ministère qui s’est donné pour mot d’ordre l’union, la concentration des voix républicaines, n’est point, à ce qu’il semble, près de toucher à la réalisation de son programme. Pour