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il y a huit jours, un sac de mille francs à faire valoir, dont j’ai votre billet, » et Scapin (La Flèche), qui s’est retiré avec son maître au fond du théâtre, ne manque pas d’en faire la remarque : « Le bonhomme négocie avec les usuriers aussi bien que nous, mais ce n’est pas de la même manière. »

J’ai pris la Sérénade, parce que c’est la première en date des pièces de Regnard que nous connaissions encore, et parce que la naïveté du procédé s’y fait apercevoir à plein ; mais Regnard a continué. Qu’est-ce que le Bal, sinon M. de Pourceaugnac mis en un acte et en vers ? Et le Retour imprévu, sinon, ramassées aussi en un acte, les Fourberies de Scapin ? Dans le Distrait, voici au moins une scène empruntée à Molière : la leçon d’italien que donne le marquis à Isabelle, c’est la leçon de chant que la fille d’Argan reçoit de Cléante. Jusque dans le Joueur, le plus original ouvrage de Regnard, nous saluons un personnage pour l’avoir rencontré ailleurs : sous le nom de la comtesse, comment ne pas voir Bélise ? Dans Attendez-moi sous l’orme. Dorante courtiserait-il Agathe et Lisette à la fois avec tant de désinvolture, et rabrouerait-il si prestement Pasquin qui lui réclame ses gages, s’il n’avait reçu des leçons de don Juan ? Le valet de Démocrite, Strabon, s’engagerait-il ainsi dans un discours sur les atomes s’il n’avait ouï Gros-René disserter sur la comparaison qu’Aristote a établie de la femme et de la mer ? Et Démocrite lui-même philosopherait-il ainsi sur la hiérarchie de l’âme et du corps, s’il n’avait profité des Femmes savantes ? Sans la Critique de l’École des femmes, où serait la Critique du Légataire ? On me dispensera sans doute de rappeler que, pour une fois que Regnard s’essaya dans la tragédie, ce fut aux dépens de Racine : la scène de Britannicus où Néron épie l’entretien de son frère et de Junie a fourni Sapor ; autant la lire dans le texte que la relire ici, même ornée de variantes d’Andromaque et de souvenirs de Bérénice… Mais je m’aperçois que j’ai nommé toutes les œuvres dramatiques de Regnard, — au moins toutes celles qui ont un nom, si chétif soit-il, — sauf justement les trois que nous avons récemment vues au théâtre : oh ! pour celles-là, les rapports qu’elles ont avec le répertoire de Molière nous ont sauté aux yeux ; nous en avons l’idée encore presque aveuglante. Les Ménechmes, bien plutôt qu’une imitation de Plaute, sont un composé d’Amphitryon et de M. de Pourceaugnac. Pour le Légataire, un correspondant de M. Sarcey, M. Th. Reinach, s’est chargé d’en faire l’analyse : « Crispin, écrit-il, c’est Mascarille et Scapin ; Lisette, c’est Dorine et Zerbinette ; Éraste, c’est Dorante du Bourgeois et Valère de l’Avare ; Géronte, c’est Argan du Malade et Harpagon… L’amour de Géronte pour Isabelle, c’est de l’Avare ; la scène avec l’apothicaire Clistorel est du mauvaix Purgon ; jusqu’à l’ignoble chantage des billets dérobés au dernier acte qui rappellent la cassette de Molière ! » Les Folies amoureuses peuvent se dissoudre aussi aisément : Albert, c’est Sganarelle,