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réclamée pour lui. Personne moins que nous n’est suspect d’hostilité ou même d’indifférence envers le répertoire, et personne n’est plus disposé à reconnaître qu’un tel auteur y doit tenir sa place. Il l’avait perdue, il la reconquiert ; nous en sommes ravi et nous désirons qu’il la garde. « M. Perrin n’aimait pas Regnard, » soupirait quelqu’un, ces jours-ci, sur le mode de l’oraison funèbre ; M. Perrin, nous l’espérons fermement, va sortir de sa léthargie ; on s’était trop hâté de lui désigner des légataires. Mais que ce soit lui qui reprenne, après ces vacances données par la maladie, le gouvernement de la Comédie-Française, ou qu’il le résigne définitivement à des mains plus valides, nous souhaitons que l’intendant de la maison de Molière aime assez Regnard pour lui continuer cette hospitalité qui lui a été récemment rendue. Ainsi, qu’on ne s’y méprenne pas, si nous touchons au héros de l’année, ce n’est pas pour le pousser dehors, mais seulement pour prendre sa mesure.

Le plus grand, après Molière, des poètes comiques de la France, Voilà Regnard tel qu’il se dresse dans l’opinion générale ; d’ailleurs, on n’examine pas quel intervalle sépare le premier du second, et, cette distance n’étant pas marquée, il est à supposer qu’elle est médiocre : on ne cite guère, d’habitude, par ordre de taille, un nain tout de suite après un géant. Cependant si quelqu’un marche après Molière qui mérite d’être nommé aussitôt après lui, sans doute il ne faut pas que ce ne soit que son ombre : or c’est le plus proche soupçon auquel Regnard est exposé. J’ai lu, tout enfant, un volume de contes tirés de Shakspeare ; c’était un recueil de petits récits en prose, qui commentaient de la sorte : « Il y avait une fois un roi, qui s’appelait Lear et qui avait deux filles ;.. » suivait l’histoire du roi Lear, telle qu’une mère pourrait, à l’improviste, la raconter à un garçon de sept ans ; et le reste de même. Tout Shakspeare tenait dans ces innocentes pages, reconnaissable aux grandes personnes et par la fable et par les noms des personnages et par quelques mots fameux ; était-ce bien Shakspeare pourtant ? Je me le suis demandé depuis. — Eh bien ! tout pareillement, dès que je pénètre chez Regnard, j’y reconnais Molière : il s’y retrouve arrangé de cette façon. Regnard a-t-il ce caprice d’écrire, en guise de petit divertissement, une comédie en un acte ? Il se souvient de l’Avare, il le résume : et la Sérénade est achevée. La Sérénade, c’est l’Avare joué, à la manière d’une charade, par des enfans qu’on a menés la veille au théâtre et qui veulent représenter à des amis ce qu’ils ont vu. Voici M. Grifon (Harpagon), qui veut épouser Léonor (Marianne), aimée de son fils Valère (Cléante) ; au lieu d’un souper, c’est une sérénade qu’il prétend donner à bon marché ; au lieu d’une cassette, un collier qu’on lui vole et qu’on lui rapporte ; au lieu d’une bague, ce collier que le jeune homme fait accepter à la belle ; M. Grifon, d’ailleurs, dit à M. Mathieu (maître Simon) : « Je vous donnais,