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à ce qui est, ou plutôt à ce qui devrait être le grand souci de l’ouvrier : à la vieillesse.


IV

La vieillesse, chose respectable et belle lorsque l’imagination se la représente couronnée de cheveux blancs, environnée d’égards, constituée eu dignité et en respect ; la vieillesse, chose triste et hideuse lorsqu’on la voit traînant dans les rues sa misère physique, et trop souvent sa dégradation morale, ses yeux chassieux, ses bras décharnés, ses jambes étiques :


Ce qui reste du pauvre après un long combat,


repoussée comme inutile et raillée comme grotesque. Tel est cependant le spectacle que présente trop souvent dans la vie populaire la vieillesse de l’homme et surtout celle de la femme. Pour le vieillard, il y a encore, entre ouvriers, une sorte de camaraderie. On l’admettra quelques heures à l’ouvrage et en échange on lui donnera une pièce blanche, après l’avoir invité à casser une croûte de pain et à boire un coup de vin. Mais la vieille femme ! personne n’en veut et personne ne la plaint. On dirait que sa vieillesse est un ridicule dont elle est responsable, et si, en traînant de droite et de gauche, elle obtient de la compassion populaire une aide passagère, trop souvent on la lui fait payer au prix de quelque plaisanterie obscène. La vieillesse est donc, elle devrait être surtout le cauchemar de quiconque vit du travail de ses bras. Parmi les conceptions chimériques qui font l’objet des discussions des ouvriers réunis dans leurs congrès, une des plus rebattues est celle d’une caisse nationale des invalides du travail qui assurerait indistinctement une pension à fous les travailleurs à partir d’un certain âge. Ces vœux ont même trouvé quelque écho au sein de la chambre des députés, où la proposition a été faite de constituer une caisse nationale de retraite pour les vieux ouvriers de l’industrie et de l’agriculture, caisse qui devrait être alimentée par une contribution obligatoire, tant des ouvriers que des patrons et par une subvention de l’état. Ce projet dort aujourd’hui dans les limbes parlementaires, et il n’est pas probable que son repos soit de longtemps troublé, quelques-uns de ses signataires étant devenus depuis sous-secrétaires d’état ou ministres. Laissons de côté ces utopies et voyons quel parti les ouvriers peuvent tirer des institutions qui, dans l’état présent des choses, s’offrent à eux.

On peut tout critiquer, même l’épargne, que Proudhon a appelée un agent de misère, même l’assurance, qu’on a voulu assimilera un