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prévus sortent de terre ; ceux qu’elle a élevés sont détournés de leur première destination et ne forment plus qu’un îlot que le siècle prochain engloutira.

Moins nobles et moins harmonieuses sont les constructions modernes de la ville basse. Plus la fantaisie individuelle cherche à se donner carrière, plus elle retombe dans les formules banales du mauvais goût. Les négocians du xviiie siècle, qui copiaient Versailles, avaient un caractère ; les lignes un peu monotones de leurs édifices répondaient à une conception d’ensemble, tandis que ce mélange de tous les styles, ces cariatides trop bien portantes, ces chapiteaux surchargés qui imitent maladroitement les splendeurs de la capitale ne représentent rien, si ce n’est la richesse du fondateur et la pauvreté de son imagination. Il n’est pas beaucoup plus agréable de revoir ici l’horrible maison à cinq étages, ce phalanstère bourgeois qui crée l’encombrement sans favoriser les relations et qui entasse les unes sur les autres cinq ou six familles, dont le plus grand soin est de ne jamais se rencontrer, même sur l’escalier. C’est le triomphe de la société anonyme. On comprend encore que ce monstre se développe à Paris, où le terrain est fort cher et l’existence resserrée. Ne pouvant aisément se déployer en largeur, la grande ville monte en hauteur et les derniers venus se hissent sur les épaules des premiers. Mais ici l’espace ni la terre ne manquent. Les boulevards solitaires implorent des maisons. N’est-ce donc rien d’asseoir directement sur le sol ses lares domestiques au lieu de les loger dans les compartimens d’une boîte, le long d’une échelle de perroquet ? On regrette qu’une habitation séparée soit, en ville, le privilège de la fortune, alors qu’il serait si facile de construire, comme dans les faubourgs de Bordeaux, de longues files de petites maisons propres et tranquilles, ayant chacune un jardin.

Nous laissons sur notre gauche un cul-de-sac assez triste : c’est la place de la préfecture. Le préfet est bien logé : il occupe le palais des anciens intendans. Mais ce grand bâtiment a un air négligé. On dirait une immense hôtellerie dont l’unique voyageur serait pressé de partir. L’hôtel-de-ville, installé dans un ancien couvent, est mieux entretenu. On a blanchi à la chaux les longues galeries et les cellules où des cénobites laïques consacrent aujourd’hui des mariages civils.

Dans le coin le plus sombre de ce bâtiment, on a réuni, sous le nom de musée, un assemblage confus de copies en plâtre, de quelques bons tableaux, d’échantillons minéralogiques et de curiosités locales. Au rez-de-chaussée, un Laocoon commence à verdir. Un Apollon du Belvédère contemple avec colère l’œuvre d’un sculp-