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dans les clefs ! Qu’un sage, regardé de haut par de sots et vaniteux courtisans, se soit armé contre eux de ce genre de défense, on le comprend, et on ne peut pas lui en trop vouloir pour cela. Quand on lit de près les Caractères, on est frappé de ce mépris des grands qui devance Beaumarchais et trouve pour s’exprimer des traits encore plus sanglans. Que de fois le philosophe n’a-t-il pas dû dire tout bas : Tandis que moi, morbleu!.. Les Caractères, comme les comédies de Molière, sont une revanche de l’esprit contre la naissance. Sans doute, c’est un moraliste qui parle, ce n’est pas un révolutionnaire; mais c’est toujours la morale qui commence la ruine des institutions.


II.

Les courtisans avides et les nobles enrichis nous conduisent, par une transition naturelle, aux bourgeois gentilhommes, aux hommes d’affaires et aux hommes d’argent. On voit par La Bruyère que M. Jourdain a dû avoir beaucoup d’originaux dont on prononçait les noms : « Sylvain, de ses deniers, a acquis de la naissance et un autre nom ; il est seigneur de la paroisse où ses aïeux payaient la taille ; il n’aurait pu autrefois entrer page chez Cléopâtre, et il est son gendre. » Sous ce portrait, on plaçait le nom d’un fameux partisan, appelé George ou Gorge, qui avait acheté le marquisat d’Entragues, et épousé Mlle de Valençay, fille du marquis de ce nom, autre personnage du même genre. « On ne peut mieux user de la fortune que Périandre ; il a commencé par dire : Un homme de ma sorte ; il passe à dire : Un homme de ma qualité... Tout se soutient dans cet homme ; rien ne se dément dans cette grandeur qu’il a acquise, dont il ne doit rien, qu’il a payée[1]. » Il n’était pas bien nécessaire de chercher un modèle à ce portrait. Il devait y en avoir plusieurs. Ceux que l’on propose (Lenglée, Pussort) ne répondent qu’imparfaitement au signalement. Ainsi du portrait de Chrysippe, « homme nouveau et le premier noble de sa race... Il arrive à donner à l’une de ses filles pour sa dot ce qu’il désirait lui-même d’avoir en fonds pour toute fortune pendant sa vie. » Il n’y a pas là de quoi caractériser un homme. Voici un portrait plus accusé : « Sosie, de la livrée, a passé par une petite recette à une sous-ferme, et par les concussions, les violences,.. il s’est enfin, sur les ruines de plusieurs familles, élevé à quelque grade. Devenu noble par une charge, il ne lui manquait que d’être homme de bien : une place de marguillier a fait ce prodige. » Il doit y avoir là sans doute

  1. Voilà l’original du fameux mot de Beaumarchais : « Nul ne peut me contester ma noblesse, car j’en ai la quittance. »