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Tuileries et dans la galerie de Versailles, où il ne se contraignait pas de dire le beau-frère en parlant du roi. » Cependant, un des traits de Saint-Simon ne s’accorde pas trop avec le portrait de La Bruyère : « Avec cela, bon et honnête homme, poli, et sans rien de ce que la vanité de la situation de sa sœur eût pu y mêler d’impertinent. » Une autre chronique de la cour nous le représente « passant sa vie dans la débauche et consumant ses rentes dans les sanctuaires de Vénus... Il a quelquefois d’heureuses saillies. A travers tous ses défauts, on découvre quelques rayons de grandeur, mais fort mal ménagés. »

Il n’y a pas de contraste plus grand que celui de Théodecte et d’Arsène. Ici, c’est le raffiné, le dégoûté, le juge exquis et impitoyable en matière de goût, le contempteur du genre humain, oublieux de ses propres faiblesses : « Arsène, du plus haut de son esprit, contemple les hommes ; et, dans l’éloignement où il les voit, il est comme effrayé de leur politesse... Il croit, avec quelque mérite qu’il a, posséder tout celui qu’on peut avoir ; occupé et rempli de ses sublimes idées, il se donne à peine le loisir de prononcer quelques oracles... Il n’y a point d’ouvrage d’esprit si bien reçu dans le monde qu’il daigne lire ; incapable d’être corrigé par cette peinture qu’il ne lira pas. » Il n’y a qu’une voix sur l’original de ce portrait. Toutes les clefs, et nos meilleurs critiques (notamment Sainte-Beuve) l’appliquent sans hésiter à Tréville, célèbre parmi les courtisans, pour la haute affectation soit de goût, soit de sainteté ; car il avait eu des mouvemens et des retours, auxquels La Bruyère fait allusion lorsqu’il dit ; « Il abandonne aux âmes communes le mérite d’une vie suivie et uniforme, et il n’est responsable de ses inconstances qu’à ce cercle d’amis qui les idolâtrent. » Ce cercle d’amis était la société de Port-Royal dont Tréville faisait partie, « élevé jusqu’aux cieux par de certaines gens qui se sont promis de s’admirer réciproquement. » Au moment de l’une des conversions de Tréville, Bourdaloue, toujours en guerre contre Port-Royal, le prit pour cible dans un de ses sermons ; et le portrait du prédicateur rappelle celui du satiriste. Il le plaçait au rang « des esprits superbes qui se regardaient et se faisaient un secret plaisir d’être regardés comme les justes, les parfaits, les irrépréhensibles, qui prétendaient avoir le droit de mépriser tout le genre humain, ne trouvant que chez eux la sainteté et la perfection. » En partant de cette peinture, Mme de Sévigné nous dit : « Il n’y manquait que le nom ; mais il n’en était pas besoin ; » et elle nomme Tréville sans hésiter. Cette hauteur dans la vertu, qui n’était pas exempte de rechutes, car Saint-Simon l’accuse d’être retombé dans un grossier épicurisme, Tréville la portait également dans le goût. Il est certain qu’on le comptait au premier rang parmi les juges ; Boileau lui trouvait une justesse