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harmonie de l’ensemble, la première apparition de ce parti-pris systématique que des critiques allemands, M. Riegel entre autres, ont remarqué chez ses successeurs et qui consiste à distribuer d’une manière invariable les trois tons dominans de leurs paysages : le brun coloré des premiers plans formant repoussoir, les verts plus ou moins francs de la partie moyenne et le bleu des lointains. Cette répartition, assez conforme du reste aux lois de la perspective aérienne, peut prêter à d’heureux contrastes. Mais si la nature en offre quelquefois l’exemple, ce n’est là chez elle qu’un des innombrables arrangemens de la riche palette dont elle dispose et dont, suivant les contrées, suivant les saisons et les heures du jour, elle sait à l’infini varier les nuances et les combinaisons. Pendant longtemps, au contraire, les paysagistes flamands ne se lasseront pas de recourir à ce procédé d’effet que Patenier avait inauguré. Chez presque tous, nous en retrouvons la trace plus ou moins déguisée et l’abus d’un expédient aussi sommaire contribue à donner à leurs œuvres. un caractère fâcheux de monotonie. C’est chez les artistes de la fin du XVIe siècle que ce défaut est surtout sensible, chez Josse de Momper, Lucas Van Valkenborgh, Roelant Savery, Ab. Gowaerts, Van Uden, etc., et après eux chez J. Breughel.

Une autre cause d’uniformité dépare d’ailleurs la plupart des œuvres de ces derniers artistes. En même temps qu’ils accumulent les accidens pittoresques dans leurs paysages et qu’ils en étendent les perspectives, ils semblent, à l’inverse de Patenier, choisir pour les épisodes qu’ils y introduisent ceux qui leur permettront également de multiplier à l’infini le nombre des personnages ou des animaux. Le Paradis terrestre, la Tour de Babel, le Déluge, le Massacre des innocens, la Montée au calvaire, Orphée charmant les animaux, les Kermesses et les Batailles deviennent leurs sujets favoris, ceux qu’ils répètent à l’envi et que le public accueille le plus volontiers. C’est avec une regrettable docilité qu’ils s’abandonnent à ce courant de routine et de mode, dont l’histoire de l’art offre trop souvent l’exemple, et qu’au lieu de chercher dans les campagnes qui les environnent des inspirations personnelles et immédiates, ils vont demander à d’autres contrées, surtout à l’Italie, aux Alpes, qu’ils traversent en s’y rendant, des impressions qui forcément demeureront superficielles et confuses.

Ainsi compris, le paysage est surtout décoratif et ses aspects, trop peu caractérisés, ne peuvent guère nous toucher. Et cependant, même parmi ces transfuges des Flandres, on compte des artistes de valeur et qui ont exercé une influence décisive sur leurs contemporains. Paul Brill, tout d’abord, qui, sans atteindre le style et la noble simplicité de Poussin, ni l’élégance et la poésie de Claude, a