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son retour d’Italie son talent se soit développé dans un sens très personnel, ce n’est point dans ses tableaux que nous devons chercher la meilleure preuve de son originalité comme paysagiste. Van Orley était un décorateur de premier ordre, et les belles verrières de Sainte-Gudule montrent assez quelles étaient ses aptitudes à cet égard. Peut-être est-ce à cause de cette supériorité qu’il fut chargé, comme on le croit, de surveiller à Bruxelles la confection des célèbres tentures exécutées d’après les dessins de Raphaël. Il est certain du moins qu’il a lui-même fourni les cartons de plusieurs séries de tapisseries, parmi lesquelles les Chasses de Maximilien méritent surtout d’être signalées, à raison de la conscience et de la largeur d’interprétation avec lesquelles le paysage y est traité. Cette suite des Douze Mois dont on peut voir plusieurs panneaux exposés dans les salles du Louvre et qui représente des épisodes variés de la chasse de divers animaux nous offre une image fidèle de la campagne aux environs de Bruxelles, dans la forêt de Soignies, à Terwueren, à Sept-Fontaines, avec les châteaux, les couvens et les étangs ou les cours d’eau qui les avoisinent. Les plantes habilement groupées sur les premiers plans de ces compositions témoignent d’une étude scrupuleuse de la flore locale, qui a également fourni les motifs de l’ornementation des bordures. Les modifications successives que le cours des saisons apporte à la physionomie de nos contrées sont aussi très nettement caractérisées dans ces belles tentures et particulièrement dans celle qui représente une chasse en plein hiver au milieu d’une forêt dépouillée, avec la neige qui couvre le sol et quelques feuilles rougies par la gelée qui grelottent au bout des branches.

Mais des impressions aussi vraies sont tout à fait exceptionnelles chez les artistes de cette époque, et nous terminerions avec Van Orley cette étude des débuts du paysage dans les Flandres, si nous n’avions à mentionner rapidement encore les œuvres de deux de ses contemporains qui, — bien qu’ils se rattachent plus étroitement que lui à l’art du passé, — n’ont pas laissé d’exercer sur les artistes venus après eux une influence assez considérable. Nous voulons parler de Patenier et de Henri Blés, que la critique s’accorde à désigner comme les inventeurs du paysage formant un genre à part et se suffisant à lui-même. Il nous reste à examiner ce qu’il y a de fondé dans cette assertion.

Patenier et Blés étaient nés presque à la même époque, vers 1480, dans des lieux voisins, l’un à Dinant, l’autre à Bouvignes, près de Namur. Leurs vies sont peu connues, celle de Blés surtout, dont le nom même a été l’objet de nombreuses variantes[1]. Sa seule

  1. Ce peintre a été, en effet, désigné en Belgique sous le nom de Herri met de Bles, en France sous celui de Maître à la Houppe et en Italie sous le surnom de Civetta, à cause de la chouette qu’il peignait souvent dans ses œuvres et dont on avait cru devoir faire son monogramme exclusif, bien que cet oiseau se trouve fréquemment représenté dans les tableaux de beaucoup d’autres peintres de ce temps.