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On y peut suivre le pauvre ménage dans sa fuite vers Bethléem et voir les mages et les bergers, miraculeusement prévenus de la naissance du divin Enfant, partir de points opposés pour se diriger vers le berceau, où ils se rencontrent, unis dans une commune adoration. Plus loin, le religieux poème se continue jusqu’à la mort de la Vierge et s’achève par son ascension glorieuse. Les intervalles laissés entre les scènes que le peintre a représentées, — il n’y en a pas moins d’une vingtaine, — sont animés par de nombreux personnages, les uns indifférens, occupés aux travaux des champs, les autres mêlés au drame. Des manœuvres se rendent à leur tâche habituelle, des chariots circulent par les chemins, des vaisseaux naviguent sur les lacs ou sur les fleuves, les soldats, envoyés à la poursuite des fugitifs, se renseignent auprès de moissonneurs qui scient le blé mûr, enfin des animaux de toute sorte, des chevaux, des chiens, des moutons et jusqu’à des pies presque microscopiques, rendus avec une vérité extrême, ajoutent au mouvement et à l’intérêt de l’œuvre. La répartition des masses, l’élégante harmonie des lignes, la clarté du coloris semblent si faciles et si naturelles que, malgré l’accumulation de tant de détails, l’aspect général est, comme dans l’Adoration de l’Agneau, d’une simplicité extrême. Mais, tandis qu’en présence du chef-d’œuvre de Van Eyck, on demeure confondu par la grandeur de la pensée et par la force d’exécution avec lesquelles le peintre a su concevoir et exprimer l’idée un peu abstraite du triomphe de l’église, ce sont ici des côtés plus touchans de l’évangile qui se révèlent à nous, c’est la vie même de Jésus et de sa mère qui emprunte à ce cadre familier de la nature une signification plus saisissante. Memling, le premier, a été ému de cette intime poésie des livres saints ; et comme spontanément les traits principaux de leurs récits sont venus se grouper dans cette image. L’inspiration est donc bien une, quoique le sujet soit complexe, et, bien qu’il fallût, pour le traiter ainsi, violer une des règles essentielles de la composition, nous regretterions cependant qu’une pareille épreuve n’eût pas été tentée par Memling une dernière fois.

Mais ce n’est pas seulement en adoptant ces dispositions répudiées par les Van Eyck que l’artiste semble rétrograder. L’exécution même de cet ouvrage, et bien plus encore celle de la Châsse de sainte Ursule, qui date cependant de ses dernières années (1489), rappelle par son minutieux fini celle des miniaturistes[1]. Comme

  1. On a prétendu que Memling avait lui-même pratiqué l’art de la miniature ; le fait est possible, mais nous devons remarquer qu’on ne peut affirmer l’authenticité d’aucun des ouvrages de ce genre qui lui ont été attribués. Nous avons dit les motifs qui nous portent à croire qu’il n’a en rien participé à l’exécution du bréviaire Grimani et du livre d’heures de la bibliothèque de Munich.