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dont il jouissait de son temps et attestent, pendant près de trente années (de 1462 à 1491), la féconde activité de l’artiste.

D’où venait Memling et quels étaient ses maîtres ? Il n’a point été jusqu’ici possible de le découvrir. On croit qu’il était né dans la Gueldre, sur les confins de l’Allemagne, et le prénom de Huns, ainsi que l’appellation de « Jean l’Allemand, » sous laquelle il est désigné par son contemporain, le chroniqueur Van Vaernewyck[1], confirment cette opinion. Peut-être, dès sa jeunesse, avait-il vu à Cologne des œuvres bien faites pour l’émouvoir et qu’il eut d’ailleurs l’occasion d’admirer plus tard, pendant le séjour qu’il fit dans cette ville. Mais si, en présence du Dombild surtout, il avait pu se sentir affermi dans les voies où le poussait son génie, il devait, pour former son talent, trouver des enseignemens plus efficaces à l’école des Van Eyck, dont, à l’exemple de Van der Weyden, et même, comme on le pense, sous ses leçons, il allait continuer les traditions.

Après ce qu’en a dit Fromentin, nous n’avons pas à apprécier ici l’œuvre de Memling, mais nous nous proposons de montrer brièvement la place qu’il y a donnée au paysage afin de rendre plus complète et plus attachante l’expression de sa pensée. Il n’est aucune de ses compositions où il ne le fasse intervenir, et le rôle qu’il lui attribue dans ses portraits eux-mêmes est significatif. Au lieu de peindre, comme Van Eyck, ses personnages dans un intérieur, ou s’enlevant simplement sur un fond uni, Memling les dispose en pleine campagne. En même temps qu’il rehausse, par l’heureux contraste de la verdure, l’éclat de leurs carnations, il achève ainsi, à la façon des maîtres primitifs, de les caractériser d’une manière plus précise. Ce château, cette abbaye, ce domaine que vous apercevez près de ces beaux ombrages aux dômes arrondis, parmi ces prairies qu’arrosent des eaux limpides, c’est là qu’ils vivent ; c’est au milieu de cette nature aimable que l’artiste a voulu Retracer leurs physionomies douces et placides, comme s’il désirait leur communiquer un peu de cette intime sérénité, qu’en dépit des agitations et des violences d’une époque aussi troublée, il avait su assurer à sa propre vie. Tels nous apparaissent, — dans ce chef-d’œuvre que le Louvre doit à la générosité de la famille Duchâtel, — dévotement groupés aux côtés de Jacques Floreins et de sa femme, leurs dix-neuf enfans, agenouillés comme eux devant la Vierge, et ce bout de pré où paissent quelques vaches, ce chemin sinueux qui conduit au village et au manoir seigneurial dont les murailles dominent de haut quelques pauvres chaumières, tout le tranquille

  1. Le Livre des peintres, de Carel van Mander, t. I, p. 69.