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de répéter, comme un écho affaibli, les choses qu’ils avaient dites si excellemment.

Le premier de ces successeurs des Van Eyck, leur imitateur et non, comme on l’a cru longtemps, leur élève, Roger van der Weyden, né à Tournai (1400-1464), s’applique à continuer leurs traditions. Il veut, comme eux, allier à une puissance de sentiment très intense un réalisme très scrupuleux. Son exécution, presque aussi remarquable que la leur, montre les mêmes recherches de rendu minutieux et de précision. Mais le génie seul des Van Eyck pouvait concilier les exigences d’un programme aussi complexe. Van der Weyden ne possède ni leur esprit équilibré, ni cette simplicité exquise qui les avait préservés de toute faute de goût. À côté de bien des traits d’un naturalisme excessif, on peut relever chez lui des expressions dont l’exagération est évidente. Son œil aussi voit moins juste, et il est trop porté à allonger outre mesure les dimensions de ses personnages. Quant à sa façon de comprendre le rôle du paysage, elle se rapproche beaucoup de celle des Van Eyck. Traitant des sujets analogues, il a souvent reproduit les dispositions qu’ils avaient adoptées. Au musée de Munich, dans le Saint Luc faisant le portrait de la Vierge (no 100 du catalogue), nous retrouvons, presque sans aucune modification, l’ordonnance générale et même la plupart des détails du paysage de la Vierge du Louvre. Parfois cependant l’artiste montre plus d’invention, notamment dans ces Descentes de croix, dont on connaît de nombreuses répétitions (à Madrid, à Berlin, à Louvain, à Dresde, au Louvre, à La Haye et à Bruxelles), et où il cherche à mettre la nature en rapport avec la tristesse pathétique de la scène. Dans l’une d’elles, celle de Dresde[1], à côté d’un Christ décharné et d’une Madeleine aux contorsions outrées, la Vierge qui embrasse la croix est superbe dans sa douleur. Le bleu verdâtre de sa robe s’harmonise de la manière la plus expressive avec le gris assombri des nuages sur lesquels l’arc-en-ciel, en signe de réconciliation, décrit sa grande courbe, tandis qu’à l’horizon une faible lueur semble annoncer l’aube d’un jour nouveau. Bien qu’il eût visité l’Italie, où sa réputation s’était étendue et où il devait exercer une grande influence[2], Van der Weyden n’introduit dans ses œuvres

  1. Musée de Dresde, no 1718 du catalogue.
  2. Plusieurs de ses tableaux nous prouvent que l’artiste eut en Italie les patrons les plus illustres. Dans une Madone avec l’Enfant Jésus, l’un de ses plus précieux ouvrages (Musée de Francfort, no 100), les armes de Florence et les saints représentés à côté de la Vierge donnent à penser que l’œuvre fut commandée par les Médicis. Un autre ouvrage du musée de Bruxelles, un Calvaire (no 31) attribué à Memling et dont l’exécution également très remarquable offre avec celle du tableau précédent des analogies frappantes, nous paraît aussi de Van der Weyden. Nous y trouvons cette fois non-seulement l’écu des Sforza de Milan, mais les portraits de François Sforza, de sa femme Blanche Visconti et de Galéas Marie, leur fils, groupés au premier plan et agenouillés au pied de la croix. Seulement, d’après l’âge apparent de ce dernier personnage, le tableau aurait été peint non pas à la date à laquelle on fixe le voyage de l’artiste en Italie, mais tout à fait à la fin de sa vie.