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c’est une question qui n’est point capable d’une solution absolue, puisque la somme que chacun peut épargner dépend d’une foule de circonstances accessoires, et non pas seulement de la quotité de son gain, mais aussi des charges qui pèsent sur lui. Un peu de statistique peut cependant nous éclairer à ce sujet. Prenons, par exemple, l’Annuaire statistique de la France et, sans ajouter une foi trop absolue aux moyennes, voyons quel est le taux des salaires dans les principales industries. L’Annuaire statistique de 1884 donne la moyenne des salaires dans soixante-deux professions appartenant à la petite industrie, tant à Paris que dans les villes des départemens. Il donne également, pour la première fois, les salaires des ouvriers et ouvrières employés dans les principales branches de la grande industrie, à l’exception des mines et de la métallurgie. Rechercher, profession par profession, en prenant ces chiffres comme point de départ, quelle somme annuelle peut être dans chacune consacrée à l’épargne serait une besogne à la fois fastidieuse et illusoire. Bornons-nous à quelques chiffres sommaires. Pour les hommes et en dehors de Paris, le salaire ordinaire moyen dans la petite industrie serait de 3 fr. 37 par jour. Mais on n’arrive à cette moyenne qu’avec des écarts très sensibles entre les différentes professions. C’est ainsi que, dans un assez grand nombre de métiers (bijoutiers, boulangers, chapeliers, ébénistes, forgerons, imprimeurs, maçons, peintres en bâtimens, scieurs de long, sculpteurs, selliers, etc.), les salaires dépassent 4 fr. Au contraire, dans un beaucoup plus grand nombre d’autres, le salaire ordinaire n’atteint pas 3 francs. Or, sur un salaire de 4 francs, l’épargne est assurément possible ; sur un salaire de moins de 3 francs, elle n’est guère aisée (et encore je ne parle que d’un individu seul). A Paris, la moyenne des salaires est sensiblement plus élevée. Dans un grand nombre de professions elle atteint, pour quelques-unes même elle dépasse 7 fr. (on se souvient peut-être des détails dans lesquels je suis entré à ce sujet dans une précédente étude). Il est vrai que, pour d’autres, moins favorisées, elle dépasse à peine ou même n’atteint pas 4 francs. La moyenne générale est cependant de plus de 5 francs. Mais il faut tenir compte aussi de ce fait que les conditions générales de la vie sont plus chères ; et soit à cause de cela, soit, je le crains, surtout pour d’autres raisons, la moyenne de l’épargne est, comme je l’ai déjà dit, beaucoup moins forte à Paris qu’ailleurs.

Les chiffres que je viens de donner ne concernent que les hommes. Ainsi qu’on doit s’y attendre, la moyenne est très inférieure lorsqu’il s’agit des femmes. Dans onze professions de la petite industrie recensées en province, le salaire maximum des femmes est de 2 fr. 24, le salaire minimum de 1 fr. 45, le salaire moyen de 1 fr. 77. A Paris, ces chiffres s’élèvent un peu ; le salaire maximum dépasse 4 francs ;