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la grandeur et l’originalité de leur génie. Leur œuvre entière atteste cette excellence dans l’interprétation pittoresque de la nature, mais l’exemple le plus saisissant nous en sera fourni par cette merveilleuse Adoration de l’Agneau, dont l’église Saint-Bavon de Gand, le musée de Bruxelles et surtout celui de Berlin, possèdent aujourd’hui les fragmens épars[1]. Tout en laissant aux personnages l’importance qui leur convient, le paysage y tient une place considérable. Il reste subordonné à la composition, mais il contribue à lui donner le caractère d’unité qui s’y découvre clairement à première vue. Dans cette foule qui de toutes parts se presse vers le centre, l’arrangement des groupes et la direction générale des lignes, les attitudes et les gestes des figures ramènent irrésistiblement le regard sur l’agneau mystique, comme vers le principe et la fin de toute la vie chrétienne. Une certaine symétrie était ici nécessaire, puisqu’en rattachant l’œuvre aux lignes du monument qui la contient, elle répond aussi aux convenances mêmes du sujet. Le paysage qui sert de fond à ce poème immense complète de la manière la plus heureuse sa signification. Par des mouvemens harmonieusement rythmés, ses lignes s’abaissent ou se relèvent tour à tour pour s’étaler largement au centré. Les montagnes, les défilés par lesquels s’avancent les saintes théories aboutissent aux molles ondulations de la prairie au milieu de laquelle le divin symbole placé sur un autel s’offre à l’adoration de ses fidèles. Agenouillés suivant un double cercle, anges et croyans entourent l’Agneau d’une amoureuse couronne, tandis qu’au-dessus de lui les collines, doucement entr’ouvertes, laissent apercevoir les perspectives bleuâtres de l’horizon. De même que toutes les classes de l’humanité et tous les représentans de la hiérarchie céleste se trouvent ici réunis, ainsi à côté de cette image de la vie spirituelle, l’artiste a placé comme une image en raccourci de l’univers avec ses montagnes et ses plaines, ses bois et ses prés, l’eau de ses fleuves et l’aridité de ses déserts, avec ses villes et ses solitudes, avec toutes les richesses de la flore méridionale : grenadiers, figuiers, orangers et palmiers couverts de fleurs et de fruits, mêlées à la végétation de nos contrées.

Le rôle du paysage dans l’Annonciation peinte sur les volets extérieurs du retable, bien que plus effacé, n’est pas moins significatif. Ce petit oratoire avec ses carreaux dallés et ses parois nues que le soleil égaie de ses clartés matinales, le tranquille horizon

  1. Dans l’étude consacrée à ce dernier musée, nous avons dit quelle était la disposition des panneaux de ce retable et apprécié d’une manière générale son importance et sa valeur esthétiques. (Voir la Revue du 1er mai 1882.)