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riche abbaye de Saint-Clément, près de Metz (Bibliothèque de l’Arsenal, no 5227) nous montre avec quelle gaucherie le paysage était encore traité par les enlumineurs de cette époque. C’est sur un fond d’or quadrillé que se détachent les monumens et les arbres, et ces derniers sont représentés par de longues tiges dépouillées et couronnées à leurs sommets par quelques feuilles, dont les formes, assez maladroitement variées, semblent indiquer une vague intention de spécifier la diversité des essences. Des poissons nageant dans les fossés d’une ville aident fort utilement à déterminer l’eau dont ceux-ci sont remplis, et au-dessus de l’eau le quadrillage du fond reparaît entre les arches d’un pont. La perspective n’est pas mieux entendue dans une chasse qui se déroule à travers une forêt : mais on peut déjà y relever quelques traits où se marque une observation plus attentive de la réalité, et l’attitude d’un cerf qui se réfugie dans l’Hermitage de Saint-Clément, ainsi que les mouvemens des chiens qui cherchent à retrouver sa piste, sont rendus avec une grande vérité.

Vers le milieu du XIVe siècle, l’emploi de la gouache dans ces miniatures permit de les retoucher indéfiniment, tout en leur conservant une extrême finesse de travail. Les manuscrits à images étaient alors très recherchés et les artistes en vue avaient peine à suffire aux commandes qui leur étaient faites. À côté des rois de France, des princes de leur cour et des ducs de Bourgogne, on pouvait citer parmi leurs plus zélés protecteurs des évêques et même de simples particuliers, comme ce Louis de Bruges, seigneur de la Grüthuise (1422-1462), dont la riche bibliothèque, après être devenue la possession de Louis XI, constitue aujourd’hui un des fonds les plus précieux de notre collection nationale. Si la plupart des ouvrages qui nous ont été transmis offrent à l’érudit une source inépuisable de renseignemens de toute sorte sur les mœurs, l’état des sciences et des arts à cette époque, la valeur esthétique de quelques-uns d’entre eux n’est pas moins digne de fixer l’attention. Aussi ont-ils été, dans ces derniers temps surtout, l’objet de publications assez étendues et les noms de plusieurs de ces miniaturistes habiles ont pu être ainsi tirés de l’oubli. Ceux de Jean Pucelle, de Jacques Macé, d’Anciau de Sens, etc., méritent d’être conservés avec ceux de Jean de Bruges et de cet André Beauneveu, qui fut aussi peintre et sculpteur. Enfin l’intérêt des œuvres de Jean Fouquet a été, en France et en Allemagne, signalé par de nombreux critiques.

Quand on étudie attentivement ces ouvrages, on est étonné de la variété qu’on y découvre. C’est tout un monde nouveau où l’on pénètre et dans lequel les différences des tempéramens et des talens s’accusent avec un cachet d’originalité très personnel. En regard des manœuvres honnêtes, appliqués et patiens, de goût douteux et de