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des détails de ces décors, par exemple, la représentation de l’Enfer et surtout celle de l’Étable de Bethléem, à côté de laquelle se trouve invariablement placée une construction inachevée dont les échafaudages se dessinent sur le ciel.

La peinture avait-elle devancé l’art dramatique dans ces dérogations au grand principe de l’unité ? S’était-elle, au contraire, inspirée de ses inventions, ou bien les influences des deux arts l’un sur l’autre avaient-elles été successives et réciproques ? Il est assez difficile de se prononcer d’une manière positive à cet égard. Mais, de toute façon, on le voit, et nous aurons encore plus d’une fois occasion de le constater, la simplicité n’est guère le privilège de l’art à sa naissance ; il faut, avec le temps, bien des tentatives inutiles et compliquées pour que le génie humain en sente tout le prix, pour qu’il y atteigne dans ses productions.


II.

Quelle que soit l’influence que les décorations théâtrales ont pu exercer sur la représentation du paysage, il faut bien reconnaître que la peinture des manuscrits a été pour celle-ci la cause des progrès les plus décisifs. Nous n’avons pas à retracer ici l’histoire de cet art, dont, au début, des artistes grecs avaient été surtout les propagateurs. Dans les plus anciennes de leurs œuvres qui nous aient été conservées, la nature apparaît à peine. Habituellement, ainsi que nous l’avons vu dans l’antiquité, la plupart des élémens pittoresques qu’ils veulent y introduire, — les sources, les fleuves, les montagnes, les saisons, le matin et le soir, — sont personnifiés par des figures à côtés desquelles, afin d’éviter tout malentendu, ils croient utile, pour les désigner d’une manière plus précise, de tracer des inscriptions. Sans insister sur ces premiers ouvrages, nous ne parlerons ici que des miniatures provenant des écoles du Nord parmi lesquelles, on le sait, celles de France, — citées déjà par Dante comme les plus habiles de son temps, — avaient de bonne heure conquis une supériorité manifeste. Sans prétendre établir entre ces écoles, ainsi qu’on a essayé de le faire, des classifications qui semblent assez hasardeuses, il est permis de dire qu’elles ont, d’une manière générale, un caractère plus franchement naturaliste que celles du Midi. Pendant bien longtemps, d’ailleurs, les emprunts qu’elles font elles-mêmes à la nature pour la décoration des manuscrits se bornent à quelques ornemens de lettres ou de fleurons dont le règne végétal a fourni les motifs, mais qui sont dessinés avec une telle liberté d’interprétation qu’il est souvent fort difficile de reconnaître les types originaux qui leur ont servi de modèles. Un manuscrit, daté de 1303 et qui appartenait à la