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et de leurs troncs contournés s’échappent quelques feuilles rudimentaires ressemblant à des ornemens héraldiques. Enfin, les embarcations qui composent la flotte normande sont groupées avec une ignorance absolue des règles les plus élémentaires de la perspective ; celle-ci, comme nous avons eu plus d’une fois occasion de le constater chez les anciens[1] : s’étage en hauteur au lieu de se développer en étendue.

Peu à peu, cependant, la peinture que nous avons vue d’abord reléguée dans les bas-côtés obscurs des églises pénètre dans le chœur de ces édifices et commence à se substituer aux bas-reliefs dorés et peints de couleurs éclatantes qui déployaient au-dessus des autels leurs nombreux compartimens. Mais son domaine reste longtemps incertain et mal délimité. Comme s’il voulait défendre pied à pied le terrain que seul il occupait d’abord, le sculpteur ne cède que graduellement la place au peintre. Plusieurs des œuvres de cette époque portent témoignage de cette lutte engagée entre les deux arts et semblent en marquer les étapes successives. Dans quelques-unes, les corps des personnages sont déjà peints, tandis que leurs visages continuent à être représentés en relief ; ou bien, parmi leurs vêtemens, des pierres précieuses ou d’autres ornemens en métal font encore saillie et des gaufrures aux dessins variés sont imprimées dans les fonds d’or sur lesquels les figures sacrées découpent leur silhouette.

Les maîtres de l’école primitive de Cologne nous montrent la première trace de quelques détails pittoresques, qui, placés à côté des attributs servant à caractériser ces figures, aident à les déterminer d’une manière plus précise. Dans ce modeste réduit où, pieusement agenouillée, la Vierge reçoit de l’ange Gabriel l’annonce de sa mission divine, c’est une touffe de lis blancs posés auprès d’elle ; ou bien quelque mignonne fleurette cueillie dans le tapis de gazon étendu sous ses pieds et qu’elle offre gauchement à l’Enfant Jésus ; ou bien encore, comme dans les gracieux tableaux connus sous le nom de Paradis, des berceaux de roses sous lesquels, entourée de petits anges aux ailes multicolores, elle reçoit avec son Fils l’hommage de leurs chants et de leurs concerts. On le voit, cette intervention de la nature est bien humble à l’origine. Mais peu à peu le peintre ouvrira les yeux sur ces réalités à côté desquelles il passait d’abord indifférent ; elles exerceront sur lui un charme croissant et il s’appliquera de plus en plus à les étudier, à les copier avec un soin scrupuleux. Parfois, il est vrai, privé du secours que les artistes des écoles italiennes trouvaient dans les traditions de l’antiquité, il se laissera entraîner à des interprétations littérales ou

  1. Voir, dans la Revue du 15 juin 1884, le Paysage dans les arts de l’antiquité.