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retourner à Munich, et cette fois avec le caractère officiel d’envoyé extraordinaire et les pouvoirs nécessaires pour traiter d’une alliance positive.

Villars reçut ses instructions à Versailles le 21 septembre et se mit en route immédiatement. Dès ses premiers pas hors de la frontière, il put s’apercevoir des grands changemens qui s’étaient opérés dans l’opinion européenne et mesurer l’étendue des difficultés qui l’attendaient. Le manifeste du 26 septembre, par lequel Louis XIV avait annoncé à l’empire l’occupation par ses troupes de la rive gauche du Rhin jusqu’à Mayence avait soulevé les colères prêtes à éclater. Il n’y avait pas de sécurité pour un voyageur français sur les terres allemandes. Villars dut faire un détour par la Suisse, l’Italie et le Tyrol : encore ne put-il traverser ce dernier pays qu’à la faveur d’un déguisement et en usant de stratagèmes. Il n’arriva à Munich que le 17 ou le 18 octobre, deux heures après le retour de l’électeur; le jour même, il était admis à lui faire sa cour. La première partie de ses instructions était facile à remplir : il s’agissait de féliciter le vainqueur de Belgrade de la gloire qu’il avait acquise et d’exprimer la part que le roi avait prise à ses succès. La seconde partie était plus délicate et lui réservait de pénibles surprises. Rappelons, en quelques mots, la situation des affaires qu’il avait à traiter.

La plus grave était l’affaire de Cologne. Le chapitre, convoqué le 19 juillet pour élire l’archevêque, n’avait pu se mettre d’accord : le scrutin n’avait donné aucun résultat; le cardinal de Fürstenberg avait obtenu 13 voix, et le prince Clément de Bavière, 9; or, pour être « postulé, » il fallait les deux tiers des votes, soit 16 voix. L’élection étant manquée, la nomination de l’archevêque revenait de plein droit au pape, mais le pape, c’était Innocent XI, l’ennemi de Louis XIV, alors en guerre ouverte avec Lavardin, répondant par des excommunications aux réquisitions des « gens du roi. » Louis XIV sentant, un peu tard, la faute qu’il avait commise en se l’aliénant gratuitement, avait cherché à se rapprocher de lui : il avait envoyé auprès de sa sainteté, en mission secrète, sous un nom d’emprunt, Chamlay, porteur de propositions conciliantes. Innocent XI avait sèchement refusé de recevoir l’agent secret ; le roi avait répondu le 6 septembre par une lettre menaçante; le pape avait répliqué par la nomination de Clément de Bavière à l’archevêché de Cologne. Le prince, quoique âgé de dix-sept ans seulement, s’était hâté de revêtir la croix et les insignes épiscopaux, de prendre le titre d’électeur et de signifier à Villars, par son grand maître, qu’il ne pourrait lui donner audience que s’il était reconnu par lui en sa nouvelle qualité.