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croyons devoir donner la traduction de la première lettre qu’il écrivit à Strattmann ; elle peint mieux que tout récit la situation qu’il trouva à la cour électorale, et le rôle que chacun y jouait :


Munich, 22 mai 1688.

Votre Excellence sait que j’ai quitté Vienne dimanche soir. Le lendemain matin, entre Melcket Kemelbach, j’ai été dépassé par le domestique de M. Mayr, qui est arrivé per posta[1] ici avant moi ; le même jour, j’ai croisé deux estaffettes venant d’ici : le 18, j’ai rencontré un courrier de l’Électeur qui s’est caché de moi ; je l’ai fait venir et lui ai demandé où il allait : « Pas au-delà de Lintz, » me répondit-il. Mais, en continuant ma route, j’ai su qu’à chaque relai il avait dit qu’il se rendait à Vienne pour y annoncer l’ajournement du départ de l’électeur pour l’armée. Un autre courrier venant de Vienne m’a rejoint près de la ville où je suis arrivé le 19 à cinq heures et demie du soir, La cour se trouvait à Schleissheim pour une fête en gala à l’occasion du jour de naissance de la princesse Violante. Je m’y suis rendu aussitôt et suis arrivé au château avant le souper ; j’ai encore eu le temps de remettre à Leurs Altesses Électorales les lettres de Sa Majesté. L’électeur daigna m’embrasser amicalement et me dit : « Quelles nouvelles ? — Ego : D’aussi bonnes que Votre Altesse Électorale pourrait souhaiter. — Ille ; Qu’y a-t-il de décidé pour la campagne et le commandement ? » — Je résumai en quelques mots l’intention et la résolution de Sa Majesté l’empereur, — Ille : « Aura-t-on assez de troupes pour partager l’armée en deux, en cas que l’on n’attaque pas Belgrade ? » — Ego : « On partagera tout ce qu’on aura. » — Ille : « Le duc (de Lorraine) voudra-t-il rester sur la Save avec aussi peu de monde ? » — Ego : « Votre Altesse Électorale n’a pas à s’inquiéter de cela, puisqu’on lui laissera le choix de l’armée qu’elle voudra commander. » — Ille: « Je pourrais bien ne pas y trouver mon compte. » — Ego : « L’empereur serait heureux de contenter Votre Altesse Électorale et de faire tout ce que la raison de guerre exigera. » J’ajoutai : « Mayr reviendra bientôt, » — Ille : « Je n’ai rien à apprendre de lui que vous ne m’ayez dit, » — Il ajouta : « Nous en reparlerons plus tard, » et l’on se mit à table. Il y avait plus de soixante personnes, dames et cavalieri. Je fus assis à la droite de la comtesse de Paar, qui avait à sa gauche le prince Egon de Fürstenberg, Après quelques propos indifférens, elle me dit que je devrais faire en sorte que l’Électeur ne fît pas la prochaine campagne. — Ego : « Je n’ai pas la présomption de le faire aller ou rester, mais je dois suivre les instructions de l’Empereur. » — Ille : « La cour impériale ne tient pas

  1. L’original, comme toutes les dépêches allemandes de cette époque, renferme un grand nombre de mots latins, français, italiens ; je les reproduis en italiques.