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admis dans son intimité ; faveur et intimité étaient alors complètes, car il entrait chez lui à toute heure, même quand il était au lit, à la grande fureur du comte de Thun, l’envoyé autrichien, soumis aux formalités de l’étiquette. Grâce à cette grande liberté, Villars put déjouer les intrigues de négociateurs peu scrupuleux; à chaque nouvelle difficulté soulevée par eux, il allait trouver l’électeur, faisait écrire ou écrivait au grand-duc, servait d’intermédiaire entre les deux souverains et obtenait directement d’eux des solutions qu’ils imposaient à leurs mandataires. Grâce à cette intervention officieuse et active, toutes les objections furent successivement écartées et tous les articles du contrat furent arrêtés et signés dans les premiers jours de mai. Le grand-duc reconnut que le mérite de cette négociation revenait surtout à Villars et lui écrivit pour le remercier.

On fut très irrité, à Vienne, de ce résultat, et encore plus étonné peut-être : refuser le roi de Hongrie, le futur roi des Romains, le premier parti de l’Europe, pour épouser un prince de Toscane, était un acte inexplicable qui dénotait chez l’électeur une grande perturbation dans les idées ou une soumission inattendue à l’influence de la France ; cette surprise se changea en inquiétude lorsqu’on vit la tournure que prenait la négociation relative à la campagne de Hongrie. Nous avons déjà dit que l’électeur avait refusé de ratifier le traité conclu par Leydel le 13 mars ; les prétextes allégués étaient sans importance réelle; les vraies raisons, qui apparurent plus tard, étaient beaucoup plus sérieuses : il devenait évident que le commandement séparé ne suffisait plus à l’ambition de l’électeur; il voulait commander en chef, et surtout ne pas être sous les ordres du duc de Lorraine. Enfin, le 12 mai, il adressa à Kaunitz, de sa propre main et de sa prodigieuse orthographe, une lettre dont Villars obtint et envoya au roi la copie, et qui est explicite : il y rappelait que, l’année précédente, son commandement séparé n’avait duré que vingt-quatre heures; à la seconde étape, son corps était réuni à celui de M. de Lorraine, qui prenait le commandement supérieur ; il ne voulait pas s’exposer au même fait ni donner une sixième fois le spectacle d’un électeur subordonné à un général lieutenant de l’empereur. Il voulait opérer seul et être immédiatement informé des plans de campagne projetés; son concours était à ce prix : il envoyait Mayr à Vienne pour recevoir et lui rapporter les éclaircissemens catégoriques qu’il demandait[1],

Cette lettre causa un grand émoi, moins par ce qu’elle exigeait que par ce qu’elle sous-entendait. Deux jours après l’avoir reçue, Kaunitz prenait la poste et se rendait à Munich en toute hâte : nous

  1. Mémoires, p. 412.