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ordres du roi les instructions les plus prudentes : Villars devait prendre pour prétexte de sa présence à l’état-major de l’électeur, « l’attachement particulier que lui donnaient pour sa personne les bons traitemens qu’il en avait reçus. »

On partit le 1er juin. Le départ fut magnifique. Cent cinquante chalands avaient été réunis à Alten-OEtting sur l’Inn. L’électeur s’y embarqua avec sa suite et un brillant équipage, après avoir fait ses dévotions à la célèbre chapelle qui domine la rivière. En quatre jours de navigation on fut à Vienne. Les hostilités étaient déjà commencées ; le duc de Lorraine avait rassemblé ses forces sur la Drave, avec l’intention de marcher sur Eszek. Max-Emmanuel s’empressa de le rejoindre. Nous n’avons pas l’intention de le suivre pas à pas pendant cette campagne assez peu fertile en résultats. Elle se passa surtout en escarmouches : la bravoure de Max-Emmanuel trouvait à s’y déployer. Villars, associé d’tous ces combats, les a décrits dans ses lettres. Dans ces actions de détail, où spahis d’un côté, hussards et cravattes de l’autre, se rencontraient dans des passes rapides, l’avantage restait souvent à la cavalerie turque, habile à se disperser devant l’attaque, à se reformer pour une charge subite, à déconcerter les mouvemens méthodiques de ses adversaires par l’imprévu et la vigueur de ses coups, par la force et l’adresse individuelle de ses cavaliers.


On dirait que ce sont deux mille officiers choisis qui n’ont tous qu’un même esprit : si l’on plie devant eux, en un moment ils se trouvent douze ou quinze cents à pousser fort vigoureusement ; dès que vous les arrêtez avec des corps de troupes, tout se sépare et vous ne voyez pas un homme ensemble; et à la fin il se trouve qu’ils prennent et tuent beaucoup de gens, et qu’on ne leur prend personne en vie : on en tue quelques-uns. (Villars à Croissy, 8 août.)


Une seule grande bataille se livra, le 12 août, entre Mohacz et le mont Hersans, et ce fut une grande victoire pour l’armée austro-bavaroise. Là aussi la cavalerie turque faillit compromettre le succès : dès le début de la journée, tandis que les longues lignes des Impériaux défilaient au pied de la montagne, un corps de cinq à six mille chevaux, exécutant un grand mouvement tournant, vint se jeter sur les derrières de l’armée avec l’intention de la couper des hauteurs et de la prendre à revers. Si ce mouvement, contraire à toutes les règles en vigueur, eût réussi, la défaite était certaine. Ce fut Villars qui s’en aperçut le premier ; l’électeur l’avait envoyé sur les pentes du mont Hersans pour reconnaître de plus haut le terrain ; il vit les Turcs dessiner leur mouvement et courut en rendre compte. Le général Piccolomini, qui commandait la seconde ligne