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ment un prince de Reuss proposé par la Prusse. Ce n’est pas précisément encore la déchéance complète et définitive des guelfes, c’est la suspension temporaire du droit dynastique dans l’intérêt de l’empire. M. de Bismarck, par cet interdit provisoire, n’a obtenu que la moitié de ce qu’il désirait, et c’est ainsi que le plus omnipotent des chanceliers ne fait pas lui-même tout ce qu’il veut. Il en sera quitte, il est vrai, pour reprendre et achever une autre fois son œuvre contre cette maison de Hanovre réduite aujourd’hui à l’alternative de l’abdication ou de la soumission.

Les hommes qui ont tenu, ne fût-ce qu’un instant, dans leurs mains les destinées de leur nation, sont toujours peu nombreux, et ils sont plus rares encore dans les pays de vaste démocratie, comme l’Amérique du Nord. Les États-Unis ont perdu récemment un de ces hommes, le général Grant, qui, après avoir connu toutes les fortunes, après avoir été un chef d’armée victorieux, un président élu et réélu de la république américaine, vient de s’éteindre, victime d’un mal vulgaire, au milieu des embarras financiers qui ont troublé et terni les dernières années de sa vie. Ulysse Grant est mort à un âge peu avancé, à soixante-trois ans ; il a eu une de ces carrières comme on n’en voit guère qu’aux États-Unis. Né d’une famille de petits industriels, aux bords de l’Ohio, il avait été envoyé à l’école militaire de West-Point et avait fait sa première campagne au Mexique en 1846, sous le général Scott. Exclu de l’armée, au retour du Mexique, pour des actes qui n’ont jamais été éclaircis, il avait fait tous les métiers ; il avait été tour à tour agent d’affaires, courtier, marchand de coton, tanneur, et il n’avait pas même échappé à la banqueroute, lorsque la terrible guerre de la sécession venait réveiller ses instincts militaires en lui rouvrant une carrière où il déployait son activité et son énergie, où il ne tardait pas à s’élever au grade de général dans l’armée auxiliaire du Nord. Le siège de Wicksburg, la prise de Chattanooga le mettaient tout à fait hors ligne en le signalant au gouvernement du président Lincoln comme un des militaires les plus habiles et les plus heureux, comme un de ceux sur qui l’Union pouvait compter pour triompher de la résistance du Sud. Grant n’était pas supérieur à d’autres chefs : à Mac-Clellan, à Halleck, à Shermann. Il avait la chance de venir à ce moment favorable où beaucoup de généraux s’étaient usés dans cette guerre ingrate, lorsque l’Union, par un effort violent, trouvait encore le moyen de rassembler des forces gigantesques, tandis que les forces du Sud diminuaient fatalement. Placé à la tête des nouvelles armées, Grant déployait d’ailleurs, dans cet immense commandement, les plus sérieuses qualités militaires : l’opiniâtreté, la vigilance, l’impassibilité devant le péril, la volonté de vaincre. C’est alors que s’engageait autour de Richmond en formidable et sanglant duel où le chef des confé-