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de parenté humaine exprimer un lien si étroit, et justifier l’amour qu’elle a pour cette autre elle-même, amour plus que fraternel cependant, celui qu’on a pour soi au beau temps de la jeunesse. La robe blanche qu’elle portait lors de l’évocation et qui s’émiette, qui se réduit en poudre à la pression du doigt, au contact de l’air, est remplacée par les plus ravissantes toilettes que puisse envier une mortelle. Hilton tout entier appartient à Ida, et en effet elle est bien chez elle, car elle reconnaît tout, et ses récits du passé affermiraient miss Ludington dans sa croyance, si elle n’était déjà convaincue.

Ce sont entre les deux femmes des confidences vraiment surnaturelles, car elles semblent se rappeler en même temps les mêmes choses. Paul est parfois jaloux de ce passé auquel il n’a pas eu de part, où d’autres que lui courtisaient la belle Ida. La présence réalisée de son idéal ne lui suffit plus. Elle est encore au-dessus de ce qu’il rêvait : bonne, spirituelle, douce, aimante; il aurait mille raisons de l’adorer, ne se fût-il pas dès son enfance donné à elle corps et âme ; c’est justement ce qui fait qu’il est bientôt malheureux comme il ne l’avait encore jamais été, malheureux à la façon d’un amant qui, après avoir été séparé longtemps de sa maîtresse, obtiendrait de quelque bonne fée la permission de la revoir, sous la condition expresse qu’elle eût tout oublié, qu’il fût devenu un étranger pour elle. Miss Ludington, qui compatit à ce supplice, avertit sa prétendue sœur, et la jeune fille s’excuse presque de n’avoir pas deviné le roman dont, sans le savoir, elle a été l’héroïne. La voilà gagnée d’un coup à l’adoration de Paul. Mais, lorsqu’il la supplie d’être à lui, de consentir à l’épouser, ce qui serait fort raisonnable, par parenthèse, et même nécessaire, car cette échappée de l’autre monde acquerrait ainsi un nom, une espèce d’état civil, elle éclate en pleurs et en refus. Le pauvre garçon désespéré s’imagine naïvement qu’elle ne peut descendre à certaines choses de la terre, que, n’étant pas une femme comme les autres, elle reste une fille du ciel qui ne saurait se charger de liens mortels. Soit, il s’élèvera donc jusqu’à elle, il sacrifiera ce qu’il y a d’humain dans son amour, pour s’en tenir aux tendresses éthérées qu’un ange même accepterait sans déchoir. Quand il lui fait ces propositions de dévouement héroïque, Ida pleure de plus belle et lui répète cent fois qu’elle l’aime. C’est parce qu’elle l’aime qu’elle ne peut pas l’épouser ; c’est parce qu’elle l’aime que bientôt elle le fuit, qu’elle fuit miss Ludington, qu’elle fuit le Hilton fantastique tout entier.

L’auteur aurait dû en rester là, faire disparaître de quelque façon mystérieuse cet instrument désolé d’une odieuse imposture. Mais