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ses vastes projets, et celui-là est John Penrhyn, l’une des figures les plus sympathiques que nous ayons rencontrées dans la littérature romanesque d’aucun pays. Le vulgaire qualifierait de communes sa stature massive, ses manières toutes simples ; on peut le trouver gauche, mais Constance est capable d’apprécier la valeur morale de cet homme. Il rougit comme une jeune fille, il a la naïveté d’un enfant; quel mélange, avec cela, d’énergie et de dignité modeste, de volonté intrépide et de magnanime patience ! Quoiqu’il soit de l’Ouest et qu’il n’ait jamais passé les mers, Penrhyn ne manque pas de culture ; nous connaissons mal une partie des États-Unis, qui de jour en jour se civilise ; on n’y trouve pas seulement des buffles, elle renferme aussi d’excellens collèges. Dans l’Illinois, Penryhn est devenu un fort bon légiste; avant tout, il a un but arrêté dans la vie, un but conforme à celui de miss Calverley, qui se servira de ce beau zèle. Il sera entre ses mains un instrument précieux, son esprit et le sien formeront une admirable union de forces administratives mises en jeu pour la réforme des misères sociales.

Il ne manque à leur entente parfaite qu’un sentiment passionné qui, porté chez Penryhn à sa suprême puissance, ne lui sera jamais accordé par sa fiancée. Le pauvre homme s’en aperçoit bien tard ! Trop amoureux pour pouvoir se passer de réciprocité, trop loyal pour admettre le compromis qu’elle lui propose, il rend sa parole à l’imprudente et s’éloigne, emportant au plus profond du cœur une blessure qui ne se fermera jamais, capable encore cependant de faire un usage excellent de sa vie, car de pareils êtres, l’honneur de l’humanité, ne tombent pas, quoi qu’il arrive, dans le désespoir égoïste et stérile.

Rutherford, d’autre part, est devenu l’époux fort tourmenté d’une jolie créature, aussi malheureuse qu’insupportable, qui s’est jetée à sa tête avec une sorte de véhémence, de brutalité. La nature d’Adélaïde est l’antithèse même de celle de Constance et très curieusement américaine. On plaint cette frêle enfant, tout en s’irritant contre elle. Souple comme une branche de saule, le visage amaigri et coloré d’une rougeur hectique, les yeux étincelans d’une sorte de fièvre entre deux paupières palpitantes comme ses lèvres, qui frémissent toujours, sujette à s’évanouir le matin et a danser le soir, elle frappe à première vue par une mobilité quasi maladive. Nombre de ses compatriotes sont ainsi, à un degré plus ou moins excessif, dominées par leurs nerfs, vivant trop vite sans que leurs forces aient le temps de se réparer, semblables à une flamme brillante que le vent fouette jusqu’à ce qu’il l’éteigne. Pauvre et mondaine, elle a toute sa vie accepté sans rien donner en échange ; son engoûment pour Rutherford est excité par la jalousie que lui inspire