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tient en réserve les plus nobles qualités. Mais Courtlandt est pauvre, pauvre comme elle, le bon sens lui commande de rechercher une héritière ; c’est du moins l’opinion de Pauline ; quant à elle, sans hésiter, elle met sa main dans celle d’un fat qui a passé la cinquantaine, quoiqu’on le trouve bien conservé. M. Varick a pris en France, où s’est écoulée la plus grande partie de sa vie, un ton de galanterie badine mal apprécié à New-York ; généralement on juge ses bons mots un peu lestes et ses façons auprès des femmes en flagrant désaccord avec une moustache blanche élégamment retroussée d’ailleurs.

— Bah ! dit Pauline à son cousin Courtlandt, il ne me déplaît pas à moi. C’est un changement enfin! Vous autres, ici, vous êtes tous taillés sur le même patron.

En vain, Courtlandt essaie-t-il de l’avertir à temps que son fiancé est Français, Français des pieds à la tête, ce qui naturellement veut dire corrompu jusqu’aux moelles. Pauline veut que sa mère soit contente, elle veut du luxe. M. Varick se débarrasse donc d’une maîtresse qui l’attend à Paris, après quoi il épouse la plus jolie personne de New-York, en se promettant de ne plus quitter sa ville natale, décidément supportable en pareille compagnie, bien qu’il l’eût trouvée au retour plus qu’ennuyeuse. Mais il a compté sans la goutte qui fond sur lui peu après son mariage. Les médecins conseillent un séjour prolongé en Europe ; il emmène sa femme et, quatre années plus tard, celle-ci revient veuve, désabusée du mariage et pour cause, jurant bien qu’on ne l’y reprendra plus. Après l’épreuve, sa beauté sérieuse et touchante frappe autant que jamais et retient davantage. Courtlandt est resté garçon. Comme autrefois, il se consacre à elle fraternellement; comme autrefois, elle le consulte, lui soumet tous ses projets, mais à la condition qu’il sera toujours de son avis. Par exemple, spirituelle et riche et mûrie par une triste expérience, elle tient, dit-elle, à faire un noble usage de sa liberté, elle prétend vivre par l’intelligence, avoir un salon, un salon choisi, exceptionnel, où personne n’entrera qui soit vulgaire ou seulement médiocre : l’argent, l’élégance, la situation sociale n’y donneront pas accès ; elle ne veut que du mérite et du talent ; un peu d’excentricité même ne lui déplaira pas.

Courtlandt la défie de satisfaire ce caprice à New-York, mais, sur le bateau même qui la ramenait en Amérique, Pauline s’est assuré l’appui du plus entreprenant des coopérateurs, qui lui a promis de l’aider dans l’œuvre qu’elle médite. C’est un Irlandais du nom de Kindelon ou plutôt l’Irlandais par excellence, car M. Fawcett a tracé le portrait d’une race tout entière en même temps que celui d’un individu. Le caractère de Kindelon suffirait au succès du roman. Il vit, il