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d’un millionnaire, mais lady Agathe mord outre mesure à la flirtation, à l’indépendance, et s’amourache d’un Californien sans le sou, dont les façons incultes ont pour elle l’attrait de la nouveauté. Ce jeune sauvage de l’Ouest est bien tourné, il est ardent et ne voit dans cette grande dame qu’une jolie fille, avec laquelle il brusque les préliminaires, au point de l’enlever quand on la lui refuse. C’est une amusante petite pièce, à côté de la grande, assez triste, celle-là, dans son ironie profonde et spirituelle.


Parmi les romanciers internationaux nous voudrions pouvoir citer une fois de plus avec éloge M. Crawford, mais force nous est de reconnaître qu’il a été mal inspiré dans son Chanteur romain[1]. Peut-être faut-il s’en prendre à l’excès de fécondité qui lui a fait produire coup sur coup Doctor Claudius, To Leeward, A Roman Singer et An American Politician. L’esprit le plus inventif doit redouter le succès facile; tout artiste qui ne veut pas déchoir est tenu de se recueillir, de méditer, de chercher longuement le mieux.

L’exemple de M. Edgar Fawcett semblerait cependant donner tort à notre conseil. Parvenu depuis longtemps à un rang élevé comme poète, ce fécond écrivain est en grand progrès comme romancier; n’importe, la sympathie même que nous inspire son talent nous fait ouvrir avec crainte chacun des volumes qu’il a signés et qui menacent d’être aussi nombreux bientôt que les épis d’un champ de blé. Nous en comptons quatre au cours de cette aimée. Quatre fois, la réclame américaine, plus bruyante que judicieuse, s’est évertuée sur ces jolis volumes si clairement imprimés, si solides sous leur couverture en toile d’une coquetterie qui fait honte à nos éditions courantes, contre lesquelles, du reste, maints sarcasmes sont dirigés par les Américains qui prétendent ne pouvoir feuilleter un livre français sans l’avoir, préalablement envoyé chez le relieur.

Ils sont amusans, modernes par excellence, pleins d’esprit et d’observation fine, ces romans de M. Fawcett, les trois derniers du moins ; on y rencontre ce qui manquait à son œuvre de début : a Gentleman of leisure[2], le mouvement, la conduite alerte de l’intrigue ; mais comment les détails seraient-ils mûris, les caractères suffisamment développés? comment ne relèverait-on pas, au milieu de scènes charmantes, les traces d’un travail précipité? Par exemple, il manque aux Aventures d’une veuve[3] cette pondération indispensable dans toutes les œuvres d’art, le juste équilibre des masses et des figures, des accessoires et du fond ; il y a des

  1. A Roman Singer, Houghton, Mifflin and co, Boston 1884.
  2. Voyez, dans la Revue du 15 mars, le Roman de mœurs mondaines en Amérique.
  3. The Adventures of a widow, Osgood. Boston, 1884.